Pourvu qu'elle soit douce
ft. Hanae
ft. Hanae
Lentement, le crépuscule dévoilait ses couleurs les plus chatoyantes et les plus chaleureuses. Ce temps précieux entre le jour et la nuit, Shun le chérissait. Les raisons d’un tel attachement étaient multiples, certaines n’étaient que pragmatismes, tandis que d’autres revêtaient un voile plus sentimental. Si quelqu’un venait un jour à demander à l’homme à la peau ébène, pourquoi était-il si contemplatif durant cette période, la première réponse, instinctive et honnête, serait : « Pourquoi ? Eh bien, pour ne pas te mentir, c’est à cette heure-ci que les clients sont les plus nombreux. Je fais un tiers de mon chiffre d’affaire durant ce cours laps de temps » et un rire franc viendrait ponctuer ce discours. Mais si cet inconnu creusait un peu plus, alors il apprendrait que le Miyazaki ressentait beaucoup de tendresse pour cet instant. Ce mélange de couleurs et le symbolisme de cet entre-deux, de ce croisement des astres, rappelaient au quarantenaire que l’horizon n’était pas terne et à l’agonie. Malgré la Fin approchant, les Cieux semblaient vouloir intimer aux Hommes de garder Espoir dans leur cœur. De plus, laissant le drame s’éprendre de son âme, le prêtre confessera enfin, qu’un souvenir cher à son cœur le lie à cette bascule temporelle, le décès de sa première femme. Ses cris de douleur et son dernier sourire quand Mort la soulagea de son étreinte aimante, étaient à jamais ancré dans l’âme du prêcheur. La vision des caresses du halo orange sur le visage angélique de sa défunte épouse était source de réconfort pour l’homme. Bientôt, son tour viendra et il espérait ressentir une telle félicité durant cet instant béni des dieux.
Perdu dans ses pensées, ce n’est que lorsque Suzi frappa la cloche signifiant le début des festivités que le tavernier remit les pieds sur terre. L’heure n’était pas à la mélancolie et aux réminiscences, le travail allait se densifier. Encore une fois, les clients n’étaient pas très nombreux. La peur de l’épidémie rendait la vie du commerce difficile. Le « Tenbu Hôrin » (litt. Le Trésor du Ciel) n’allait pas pouvoir tourner à ce lent régime longtemps. Pourtant, Shun ne pouvait agir sur les causes d’un tel vent de panique, il ne restait qu’un Shinnin parmi tant d’autres. Alors, pour palier le manque à gagner, le malin chevalier avait trouvé des ruses, des astuces. Pour débuter, un horaire particulier, au tintement de l’objet métallique, les prix étaient tous diminués de moitié, ce qui avait pour résultat de doubler les consommations. Le contre-coup d’un tel outil, c’était que les esprits s’échauffaient bien plus vite et qu’il fallait toujours être aux aguets du moindre conflit naissant. Ensuite, Suzi et ses formes plantureuses, l’homme vicieux utilisait son employé modèle pour attirer du monde, devant la taverne, elle alpaguait et tenter les habitants de la panacée. Une véritable commerciale, née pour séduire et pour attirer les esseulés, les avides de sensations fortes et les plus téméraires. Son verbe et sa théâtralité étaient appréciés des riverains, faisant rire les plus jeunes et rappelant aux plus vieux la fougue de leurs jeunes années. Enfin, le troisième et dernier ressort que mobilisait le pécheur se résumait à des jeux. Il avait fait construire et aménagé sa taverne pour recueillir dans une pièce annexe, des jeux d’argent tels que des paris autour de jeu d’osselets, de saikoromeijin, des maquettes miniatures du bokusoumari. D’ailleurs, le brillant propriétaire était à l’affût de toute innovation. Peut-être qu’un jour, lorsqu’il trouvera le temps, il fera une annonce pour stimuler la créativité des habitants de ce village.
Malheureusement, tous ses stratagèmes ne faisaient qu’à peine combler le manque à gagner. Pour survivre, l’établissement allait devoir trouver d’autres sources de revenus… Ou bien, Shun allait devoir assumer plus souvent son rôle de mercenaire au compte de Bô… Cette idée ne l’emballait pas vraiment. Servir d’oreille et de thermomètre était une fonction qu’il appréciait, contrairement à l’idée de se mettre en danger inutilement. Pourtant, l’urgence était là, faire le difficile n’était pas ce qui allait sauver son commerce d’une faillite annoncée si la situation ne s’améliorait pas dans les mois à venir. Peut-être était-il temps d’assumer son rôle de soldat, de prêtre et de tavernier à part égal.
Soudain, une ombre. Une femme venait de rentrer dans l’établissement. Fouillant sa mémoire, l’envoyé de Mort put affirmer qu’il s’agissait d’une inconnue, c’était plutôt rare dans ce lieu fréquenté principalement par des habitués. D’ailleurs, ces derniers se retournèrent et de leur regard brumeux à cause de l’alcool, ils jugèrent cette sabreuse. Elle ne payait pas de mine, elle voulait sûrement oublier ces soucis. Cela tombait bien, c’était la spécialité du « Tenbu Hôrin ». Et alors que le maître des lieux allait offrir un accueil tonitruant et amical, un homme se leva avec vigueur, faisant tomber son assise. Bouteille à la main, il menaçait la nouvelle venue. Lentement, il contournait les autres clients pour faire barrage à l’élue.
- VOUS ! Je vous reconnais ! Vous avez saccagé mon bar ! SHUN, je te jure sur mon Honneur, moi Nara Chikage, que cette femme est une engeance des démons ! Elle ne t’apportera que chaos et ruine ! Il faut absolument lui interdire l’accès à nos commerces !
- Voyons Chika, tu n’exagères pas un peu, l’alcool te monte à la tête voilà tout, accueillons-là et partageons un moment…
- Rah c’est toujours pareil avec toi ! Tu veux toujours parler, parler, parler, et tu te laisses marcher dessus ! Non, elle doit payer ! LES GARS ! DITES VOUS QUE CETTE GAMINE VEUT VOUS EMPÊCHER DE VOUS AMUSER ! Tout ce que désir cet esprit maléfique, c’est la destruction de l’homme !
L’atmosphère enjouée et légère changea en un rien de temps. C’était comme si une immense chape de plomb s’était abattue dans la pièce. Certains hommes de main se préparaient à dégager leur arme de leur fourreau, d’autres téméraires suivirent l’exemple de leur ami commerçant en prenant des bouteilles comme futur projectile, tandis que d’autres, les plus malins, attendait patiemment avant de choisir un camp. Constatant le climat tendu, Shun fit signe à ses employés vigiles de se déployer près de l’entrée. Il allait falloir tuer dans l’œuf cette bataille futile et probablement coûteuse. Et alors qu’il s’apprêtait à faire un long sermon, cherchant à inspirer les hommes et les femmes et à leur rappeler les biens faits de la mesure, Suzi surgit derrière l’inconnue, se penchant sur son épaule et hurla aux poivrots.
- Eh bah alors ? Vous avez oublié votre pari perdu ! Si une femme belle et sexy, hormis moi bien sûr, entre dans ce lieu, vous devez la traiter avec respect et gentillesse. Sinon vous n’êtes pas des gentlemans !
- Ce n’est pas une fe-femme, c’est un monstre qui…
Le regard noir de Suzi l’arrêta net. Comme à son habitude, le Chevalier de l’Orgueil pouvait compter sur ses salariés, ils étaient à même de gérer cet imbroglio. Cependant, ce temps de pause offert à la guerrière, était crucial pour les événements à venir.