C’est dans les bas-fonds les plus honteux et les plus irrespectueux de la vie humaine - de sa valeur - que l’on trouvait ce qui pouvait se faire de mieux mais aussi de pire chez l’Homme. On parle bien ici de la Ceinture Noire, quartier mal famé on ne peut plus délaissé par ceux qui en ont la charge. Un détail qui peine cet adolescent au cœur pur, l’esprit encore rempli de naïveté et les nuits pleines de rêves. Shao Lao, dix-sept ans et membre du clan Shinnin n’a rien de bien spécial si ce n’est un don qu’il utilise pour subvenir au mieux aux besoins de ses frères et sœurs. L’injustice ne le connait pas et l’inverse est vrai aussi. Quand elle a lieu, il fait en sorte de la réduire à néant. Cela a toujours été le cas, sauf pour son quartier. Du haut de son balcon, à l’aube, il observe la cité qui l’a vu devenir ce qu’il est aujourd’hui. A t-il fait les bons choix ? Est-il capable de devenir meilleur qu’il ne l’est déjà ? Est-il bon, d’ailleurs ? Tant de questionnement et aucun parent pour lui répondre, le rassurer. Un sourire s’immisce sur ses lèvres. Quel idiot fait-il, il se doit de faire avec et de tout assumer pour la génération future. Un peu trop tôt pour lui certes, mais on ne décide de presque rien au cours de sa vie. Son regard vitreux montre bien qu’il l’a compris assez efficacement. ce même regard qui s’éternise sur l’immensité de sa ville qu’il aime. Un regard qui semble tout autant l’accuser de l’avoir laissé tomber au moment où il avait le plus besoin d’elle. Le regard d’un enfant qui a grandi bien trop vite pour son propre bien et celui du monde qui l’entoure.

Chaque membre d’un clan dispose d’un local qui lui est propre, de ce qu’il en sait. Ici, dans le sien, on peut reconnaître une volonté d’avoir un bureau coupé du monde mais pas pour autant privé d’informations sur ce dernier. Divers articles sur des faits divers trainaient ici et là, un peu d’équipement aussi, un uniforme pour travailler en tant que coursier qu’il lave quand il en a le temps et un mur vierge de tout poster, toute écriture, toute décoration. Chaque jour, pendant une bonne trentaine de minutes, il médite devant ce même mur. Et au fur et à mesure de ce qu’il apprend et de ce qu’il suppose, un schéma se dessine sur ce mur mais seulement dans sa tête. Ses yeux le parcourent de bas en haut pour finalement arriver à son sommet. L’indifférence qui se dégage de son regard laisse s’échapper un peu de mépris pour la personne qu’il a en joue : Azusa, la doctoresse. Un des acteurs principaux de la situation actuelle selon lui, une criminelle de haut-rang mais que personne n’ose attaquer ou ne serait-ce que contredire. Mais lui, du haut de ses dix-sept années d’existence, il comptait bien mettre un terme à son règne. Non pas pour récupérer une place vacante au sein de la Triade, non. Tout simplement pour débarrasser la ville de sa bêtise. Mais cela risque d’être un travail de longue haleine. Chose qui ne fait pas froid aux yeux au jeune adulte : il a toute la vie devant lui.


Shao Lao a profité de l’après-midi pour se reposer dans l’optique de pouvoir mieux opérer la nuit durant. Sous sa capuche, ses yeux scrutent les ruelles qu’il parcourt. Coup d’œil à droite : des ivrognes qui se battent. Coup d’œil à gauche : plusieurs silhouettes ne connaissent pas la pudeur et fusionnent. Tous ces gens le dégoûtent, est-ce vraiment ici qu’il compte élever les petits ? Un soupire avant de se remettre à avancer. Un individu le bouscule sans faire exprès et tombe au sol. Lao se retourne et jette un œil à l’inconnu. Ce dernier agit étrangement : il tremble, se gratte le cou, sue comme personne et ne semble pas concentré sur ce qu’il fait et voit. La chevelure immaculée sourit. C’est parfait.


Un seau d’eau réveille brutalement le drogué. En se réveillant, il s’agite dans tous les sens et remarque qu’il n’est pas maître de ses mouvements - assis sur une chaise, ligoté par de nombreuses cordes. Il commence à regarder partout et tente de crier - il fait noir, il a froid, il a peur. Tout ce qu’il peut donner, il le donne… sans conséquence. Une lanterne s’allume dans la pièce et une ambiance tamisée s’installe donc au sein de cette scène « Ça ne t’apportera rien de crier, des gens meurent chaque jour ici. Tu penses vraiment avoir une quelconque importance ici ? » l’individu tente de rétorquer mais Shao Lao le coupe très rapidement « J’ai des questions à te poser et si tu veux repartir d’ici, tu as tout intérêt à y répondre. » lui lâche t-il avec fermeté. Son interlocuteur ne semble pas disposé à lui répondre, il tente même de lui cracher au visage. Sans succès. Avant que la vile salive ne l’atteigne, elle a déjà été réduite à l’état de vapeur.

Alors, il prend peur, gesticule comme jamais et tombe avec la chaise en se cognant le crâne par la même occasion. La douleur ne lui fait pas oublier le fait qu’un élu le séquestre? Bien au contraire, elle lui fait bien comprendre qu’il est en vie et que cela peut se terminer un un rien de temps. Shao Lao n’est pas du genre à torturer et encore moins tuer, mais bon. S’il peut se servir de la notoriété de ses semblables afin de parvenir à ses fins, il ne va certainement pas se priver. Le captif commence dès lors à parler, étrangement « Ecoute mec, j’veux pas de problème avec toi ni avec personne en fait. Laisses moi partir je t’en prie. Je ne dirais rien à personne, je n’ai rien vu, rien entendu ! » l’homme marque une pause en voyant son ravisseur mettre des mitaines crasseuses. Il s’imagine déjà en train d’être battu à mort avec ces dernières « Non, je t’en prie ! s’il te plaît mec, déconne pas ! »

Shao Lao s’abaisse et agrippe l’homme à terre par le col, le relève afin de le remettre en position assise. Un soupir s’échappe de ses lèvres tandis qu’il frotte une de ses mains sur la joue de son captif - entre-coupe le frottage par des gifles inoffensives -, il s’exprime alors à son tour « T'as rien entendu mais tu va tout me dire. Répond à mes questions et tu seras vite libéré » sa main libère la joue, il poursuit en se redressant « Qui te fournit ta came ? » l’étranger déglutit et pèse le pour et le contre. Qui est le plus menaçant ? Son dealer ou un élu capable de réduire ce qu’il désire à l’état de poussière ? Une hésitation qui ne dure pas dans le temps et qui mène rapidement à une conclusion. « Déconne pas avec eux mec..! » il tremble « Ces gens-là, ils font peur à tout le monde et ce n’est pas pour rien. » Shao Lao tique fortement avant d’agripper les cheveux du geignard « J’ai l’air de quelqu’un qui peut avoir peur ? » le drogué ravale sa salive, intimidé « Très bien, très bien. » lance t-il en se débattant pour échapper à l’emprise sur ses cheveux « Les frères Wang. Zongfang et Zongwei Wang. C’est eux que tu cherches ! » balance t-il. Suite à une grande inspiration, l’adolescent assène un violent coup de poing sur le crâne du captif pour le faire tomber dans l’inconscience. Il le lâchera quelque part, dans un motel miteux de la Ceinture Noire, avant de se mettre en route pour ses deux nouvelles proies : les frères Wang. Qui sont-ils ? À quel point sont-ils puissants ? De quoi sont-ils capables ?

-- J+2, 7h36, Domicile de Shao Lao --

Les rires enfantins envahissent les lieux et viennent arracher un sourire au jeune homme. L’heure du petit-déjeuner est toujours marqué de bonheur. Déjà car pour des habitants de la Ceinture Noire, c’est assez rare de pouvoir manger dès le réveil. Ensuite, c’est même donné à moins de personnes d’avoir encore une famille. Sur ce point, Shao Lao est un chanceux. Il se tue chaque jour à la tâche pour un clan auquel il ne croit qu’à moitié uniquement pour eux. Ils ne passent pas leur journée chez eux, il ne le supporterait pas. Une grande partie de ses revenus sont investis dans leur éducation. À chaque fois, l’adolescent les accompagne jusqu’au quartier des lumières, là où des érudits peuvent s’occuper d’eux comme il se doit. Comment a-t-il réussi pareil prouesse ? Le clan Kodama donnerait n’importe quoi pour des informations sur le monde extérieur ou des ressources se trouvant au sein de diverses zones dites dangereuses. En plus du paiement de base pour les cours, Lao ramène ce dont ses connaissances ont besoin. Toutes ces conditions ne font que renforcer le fait que l’injustice règne dans cette ville mais peut-il y faire quoi que ce soit ? Non. Pas pour l’instant, du moins.

-- J+2, 12h45, Local clanique de Shao Lao --

Devant ce mur vierge, aucun visage n’apparait mais des noms se gravent : Les frères Wang. Zongfang et Zongwei. Ces noms ne lui disent pas grand chose et c’est bien naturel, il y a trop de monde ici, dans la Ceinture Noire. Allez savoir si un recensement est fait sérieusement pour ce quartier, Shao Lao en doute fortement, lui. Enfin bref, il s’étire en repensant à son plan pour ce soir. Au programme : de l’espionnage de qualité, s’il en est capable. Le garnement se met à rire tout seul dans le local, il s’étonne lui-même à échafauder une stratégie pour un contrat à l’extérieur de la ville. Qui peut donc bien le surprendre, lui ? Après quelques instants à s’abandonner dans ses pensées, il se dit que tous les élus n’ont peut-être pas choisi le droit chemin et tous ne sont d’ailleurs même pas reconnus. Prudence donc, pour ce soir au moins.

-- J+3, 01h57, Non loin de l’entrepôt de “Huanying ni” (litt. bienvenue) --

“Huanying ni” est un ensemble de commerçants travaillant plus ou moins ensemble afin de remplir des objectifs communs mais dans le coin, ils portent bien des noms. Guilde marchande, conglomérat ou encore… mafia. Shao Lao n’a aucune idée d’où il pourrait trouver l’un des frères ou leur site d’activité. Avec le recul, il se dit qu’il aurait pu un peu plus interroger le drogué de l’autre soir. Mais qu’importe, il faut désormais faire avec le manque d’information. Commencer par un groupe trempant dans le sale semble être un bon début. Après quelques mudras effectués sans peine aucune, une brume épaisse se lève autour de l'entrepôt et ce qu’il se trouve à l’intérieur. Camouflé au possible, l’adolescent devrait pouvoir avancer sans trop de crainte. Une chose qu’il prend au pied de la lettre car il avance en passant à quelques mètres seulement de plusieurs groupes de gardes. Un coup d’oeil rapide à leur attirail suffit à lui faire comprendre qu’il ne s’agit vraiment pas que d’une simple guilde marchande. Les veilleurs de nuit, ça existe. Une armée de mercenaire pour garder un entrepôt, un peu moins quand même.

Une fois à l’intérieur, l’élu vérifie le contenu de certaines caisses encore ouvertes. Rien de bien choquant : de l’alcool et des armes principalement. Un peu plus loin, un homme fait les cent pas près d’un bureau. Il semble grandement préoccupé. Le jeune Lao s’approche et se place à quelques mètres de lui, derrière des cargaisons en tout genre. En écoutant ce qui est audible de ses marmonnements et ses plaintes, il lui reste des documents à remplir. Ce geignard ne l’intéresse que très peu. Puis, au moment où l’adolescent se dit qu’il faut partir, quelque chose résonne dans son crâne, dans son âme toute entière : WANG. Sa tête se tourne subitement vers le pleureur puis il s’approche discrètement par derrière lorsqu’il s'assoit pour faire on ne sait quoi « Élèves la voix et tu perds ta tête. Tentes de t’enfuir et tu perds tes jambes. Essaies de te battre et tu perds tes bras. » l’homme sursauta tout de même, assez pour alerter un garde dans les alentours. Un kunai sous la gorge le pousse à déformer la vérité et ainsi éviter plus de problèmes qu’il n’en faut « Ce.. Ce n’est rien, je me suis juste cogné le petit doigt de pied contre le bureau. »

Une fois parti, le mercenaire laisse une fenêtre d’action conséquente à l’infiltrer qui menace son otage de plus bel « Dis moi tout ce que tu sais sur les frères Wang. » l’homme tente de se retourner doucement mais son crâne est poussé contre le mur « Pourquoi faut-il… » une béquille est mise dans la cuisse de la victime, elle tangue « ... qu’on essaye toujours… » une balayette suit les mots et le visage de la cible est plaqué au sol « ... de me la mettre ? » le pied plaqué sur la tête du désespéré, il se répète « Les Wang, tout ce que tu sais. » un moment à gesticuler plus tard, il se met doucement mais sûrement à table à contre-cœur « Tu ne les trouveras pas, ils sont comme des fantômes. Comme s’ils n’appartenaient pas à notre monde. “ son pied s’écrase un peu plus « Et j’ai l’air de quoi moi ? » l’interlocuteur répond au plus vite « Chez les Huanying ni, là-bas, va là-bas et tu verras. » curieux d’entendre la suite, Shao Lao retire doucement son pied du crâne du malheureux « Continue. » et après une dizaine de secondes de silence « Eux aussi, ils possèdent un don, élu. » puis, plus rien. La brume disparaît peu à peu, l’homme au sol regarde autour de lui : plus personne.

Le jeune guerrier est déjà en route vers sa prochaine cible.