Une petite chasse dans les bois rondement menée. Pas un seul monstre, simplement des petites commandes par-ci par-là de viande. Seido avait fait deux prises en plus, il libéra la plus fougueuse et garda l’autre, le tuant sur le coup. Il laça les pattes de l’animal pour venir l’accrocher, sur un bout de bois visiblement bricolé, suspendu comme les autres gibiers, séparés par des interstices du bâton. Posant le tout sur son épaule, chaque bout dépassait par l’avant et l'arrière. En pénétrant dans la ceinture, l’orphelin passait par une ruelle avant de jeter un lapin sur les cuisses d’un enfant, assis entre deux poubelles, sans dire un mot. Remontant la ceinture jusqu’à la rue du safran, ou il livrait les marchands, l’agitation habituelle se faisait plus intense.

Moins de commerces, plus de commérage. Des crieurs prononçait de longs discours. Le chasseur les écoutaient avant de reprendre chemin. Des groupes de personnes se réunissaient, sans acheter ou vendre quoi que ce soit, regardant les murs avec intérêt. Saisit lui aussi de curiosité, Seido se comportait finalement comme la masse, se frayant un chemin jusqu’à une affiche. De visuel, c’était bien plus court que ce les crieurs disaient. Seido avait vécu sans éducation, mais il n’était pas bête et avait rencontré Hayai et Shiro qui lui avait appris les prémices de la lecture. La différence écrite et orale le rendait méfiant. Jouant de son gabarit physique, il posa la main sur le papier, puis un doigt sous un mot, commençant à combiner des sons, sous les oreilles attentives de ses homologues.

Au. Facile. Slane, Clane.. Difficile. Shinnin. Il n’arrivait pas vraiment à le lire, mais il faisait parti des mots qu’il avait appris par coeur, comme les noms des deux autres clans. Con-fi-Confi-ane-que.. Pas le plus simple. Auxe Hautse. Comme ça se prononce, même si ça veut rien dire de parler d’eau.  Di-ri.. Diri-géant, Diri-gant.. De pire en pire. Voilà ce qui nous attende. La ! Ca c’était compréhensible !  Ré-a-guire. Ah, Réagir ! Simple déduction. Ou mou-rir. L'u-L’union faite la force.  Une bonne fin est une fin qui se lit bien.  

Un milieu de texte assez flou. En tous cas ça ne ressemblait pas à ce que disait les crieurs.

Diri-géant ça ressemble vachement à dirigeants, comme ce que dit le type là-bas.

Une intervention salvatrice d’un adolescent, qui donnait plus de sens au message. Même si cette phrase restait une énigme. Acquiesçant d’un hochement de tête, Seido reparti avec l’un des exemplaires, à la recherche de l’un de ses amis pour décrypter ces trois mots qui posaient réellement problème dans la compréhension globale du message. En cherchant du regard Hayai, un homme ressortait particulièrement de la masse. Un homme du clan Kodoma ou Tsukuri, à la vue de ses habits et de sa prestance, quoi que discrète.

S’approchant, Seido reconnaît Seijaku. Un homme qu’il respecte au même titre que Jin le gardien, Wazamono Shinpisei chef du yoaketsume et Zaisan Seizui mécène du Jizen'ichi. Des types qui en veulent, prêt à aider la ceinture. Pas comme cette traîné d’Azusa et sa saloperie d’opium qui ravage les démuni les plus désespérés. Il y a peut-être des hommes qui l'empêche de l’approcher, mais le chasseur leur fait comprendre qu’il est là pour parler. Par politesse, chose assez rare pour l’orphelin, et surtout par respect, il se présente en premier :

Seido Ajitsuke, chasseur de monstre, j’suis bien content d’vous trouver. Vous pouvez m’aider à décortiquer deux-trois mots, j’arrive pas à les lire correctement, et c’qui se crie est bien trop long pour ce p’tit message. Même s’il a raison pour la Doctoresse, ça m’étonne qu’il parle de Jin ainsi. L’bon gars a à faire avec tous les maux d’la ceinture, la disparition du mécène, et Azusa est presque intouchable.

De son doigt, il indiquait les mots : Confiance, Aux, Hauts. Mais Seido, confus par la lecture, ne comprendrait pas “Aux hauts” et demanderait des précisions.

Il était tôt le matin quand le brun s’arrêta devant cette étrange annonce. Les bras chargés de provisions, il était en pleine livraison pour le compte des 1000 poissons. Le dessin l'interpellait plus que les mots qui y étaient inscrits. Perplexe, il arrachait l’affiche pour la glisser dans sa poche avant de s'empresser de finir sa tâche pour se libérer. Il allait se pencher sur ce problème dès que possible.  Sur le chemin sans surprise, son ouïe ne captait que des conversations concernant la nouvelle agitation. Plusieurs habitants des environs le stoppaient d’ailleurs, en se rappelant qu’il savait lire. Ils cherchaient un conteur et c’était le ton monocorde, que Hayai s’était exécuté à la tâche sans perdre parti aux débats qui s’en suivaient. Il ne pouvait pas s’empêcher de sonder les âmes autours de lui, de lire sur les visages  le doute, la peur, la colère ou la moquerie, son don confirmait ensuite ses suspicions.

Ce genre de trouble, en avaient-ils vraiment besoin, la vie était déjà assez compliquée comme ça. Cela l’agaçait fortement.

Contrarié, le livreur faisait son chemin, l'affluence de personne et toutes leurs émotions vives commençaient à faire de mauvaises percussions dans sa tête. Elle qui devenait douloureuse, son don ne lui était pas encore totalement acquis, parfois, il n’en faisait qu’à sa tête. Même s’il aurait voulu se concentrer pour les ignorer, il ne pouvait plus, lui-même happé par cette tentative de trouble trouvait des échos à ce dernier en chacun d’eux. Un foyer d’agitation l’avait alors attiré vers une direction, une foule commençait une mauvaise unisson, l’esprit devenait presque  le même pour presque tous les intercepteurs du message du crieur.  Hayai fronçait ses sourcils en se frayant un chemin aux premiers rangs. Il n’avait pas eu besoin de son don pour observer cela...

Ainsi, en suivant de près le déroulement de cette mascarade, ou plutôt le crieur, il assistait à un échange le laissant bien plus perplexe encore. Son intuition lui dictait alors de poursuivre son investigation dans ce sens, c’était pour le moment sa meilleure piste. Il avait déjà sa petite idée de pour qui travailler le crieur, un seul coupable possible lui venait en tête, aussi son bon sens le décidait plutôt d'épouser les pas de l’expéditeur du message qu’il avait vu s’échanger. À bonne distance, il  ponctuait ses pas de quelques arrêts savants pour encombrer ses bras de fausses livraisons. Voilà qui allait lui coûter quelques pièces et du temps, mais en s’approchant du brun et l’analysant, il avait ressenti quelque chose de fort: un trouble, du doute ou plutôt une sorte de détresse… Associée à de la bienveillance ? Il ne savait trop ce qui était juste ou non, mais, son âme l’avait captivé en quelque sorte.   Et cette dernière faisait écho à ce que ressentait l’élu au Kangai. Ainsi, il n’avait pas pu se résoudre à simplement le laissait filer, il devait savoir ce qu’il comptait faire, mais aussi et surtout, dans quelle catégorie il devait le placer. Allié ou ennemi ?

Et la crainte de Hayai se justifait quand il l’espionnait demander “de l’aide”.

Un long soupir lui échappait quand il entendait les pas de course du garde à qui Ren s’était adressé. C’était le moment qu’il choisissait pour sortir de l’ombre qui le berçait toujours. Il faisait alors face à celui qu’il suivait depuis l’annonce du crieur, comme un fantôme sortie des ténèbres. Le jeune homme restait silencieux quelques instants en fixant sa cible pour sonder quelques fragments de ses réactions, puis il se décidait à parler.

“ Penses-tu qu’avec une descente, les gardes armés sauront faire la différence entre le coupable et les innocents apeurés ou trompés?  Cela ne donnerait-il pas raison au tract de mauvais augures ? “

Il  baissait sa capuche, puis relevait alors les lunettes qu’il ne quittait jamais pour lui offrir un échange de regard dans le blanc des yeux sans entrave.

“ Il se pourrait que nos intentions soient communes, c’est à dire, préserver le calme et la sécurité. Il se pourrait aussi que tu puisses m’aider à le faire…”

Il prenait un temps de réflexion.

“ Ou l’inverse si tu préfères. C’est bien de l’aide que tu es venu chercher ici non ? “

Il parcourait alors les derniers pas qui les séparaient avec une assurance qu’il ne se connaissait pas forcément. C’était les circonstances particulières ou son interlocuteur qui la lui donnait peut-être. Ou alors son fort désir de protéger ce qui lui était cher.

“ Disons que l’on ne peut pas me mentir… Pratique pour traquer une source à enrailler non ? “

Très pratique.

“ Je t’ai vu échanger avec le crieur, il s’avère aussi que nous avons la même piste. “

On aurait pu croire que Hayai n’avait rien à faire ici, il était loin de sa zone de confort et ce n’était pas vraiment son genre non plus de se mêler des affaires des autres. Mais cette dernière était peut-être aussi la sienne au final, c’était son devoir de protéger la citée, d'être les yeux et les oreilles du protecteur. Il savait qu’il ne pouvait rien faire tout seul. Certes, il aurait pu se tourner vers Seido ou Shiro, mais le destin lui avait donné une autre opportunité, celle de se débrouiller par lui-même pour changer et surtout, il ne voulait pas les mêler à un quelconque trouble. Il leur devait bien ça.

“ Je ne suis à la recherche que d'un bien commun. Tout comme toi non ? “

Assurément, Seido pensait que la Docteresse était une femme mauvaise. Les rumeurs à sont sujet allait bon train. On disait que la simple mention de son nom était aussi forte qu’une menace de mort. Et pour cause, ceux qui la servaient étaient soit fou soit dépendant à son opium, prêt à tout pour en obtenir plus. Bien sûr, ce cas de figure n’empêchait pas de retrouver quelques corps dans le fossé de quelques désespérés préférant mettre fin à leur vie avec un dernier plaisir. Ou qu’Azasa se soit débarrassé d’eux. On disait aussi qu’elle avait des contacts avec les Tsukuri, très enclin aux activités qu’elle offrait. Peut-être même qu’elle en tenait en joug, accro à sa drogue. Pour l’orphelin, démêler vérité et mensonge n’avait pas d’importance en son sujet. Ce dont il était intimement persuadé, c’est que sans elle dans la Triade, les problèmes de la ceinture s’en verraient allégés.

Elle l’est. J'vais accepter votre proposition, observons. Peut-être pourrait-on prendre des paris sur l'déroulement des choses ? D'bons commentaires m'vont aussi, surtout d'votre part.

Acceptant d’observer, Seido prit place dans une chaise, à la table de Seijaku. Levant la main, il commandait une bière.

L'gardien n'peut peut-être pas endiguer la drogue seul. La Doctoresse est la plus puissante des trois. Quelqu’un comme vous devrait être au courant des sombres rumeurs qui planent au-dessus d’elle.

Finalement, prendre sa défense avait été plus fort que lui, rompant peut-être le silence que le justicier du peuple désirait.

Résumé :