Retournement de situation
Tout d’abord, comme tout noble qui se respecte, je me tenais debout prêt à recevoir le Prince-Héritier du clan Tsukuri et lorsque le majordome annonça l’arrivée imminente de mon interlocuteur, je fis une révérence dans l’unique but de montrer tout mon respect. Car oui, on peut ne pas apprécier les idéaux de quelqu’un ni la personne en elle-même pour des raisons personnelles, mais le respect, c’est ce qui définit un être humain d’un animal.
« Seigneur Prince-Héritier. »
Après une brève révérence, je laissai le temps au Prince-Héritier de s’asseoir avant de m’asseoir juste après lui. J’écoutai ensuite chacune de ses paroles, il était cultivé, il c’était même renseigné sur le sujet, un minimum pour pouvoir faire la conversation et montrer de l’intérêt. Je n’imagine même ce qu’a dû être la vie du Prince-Héritier vu celle que j’ai dû mener jusqu’aujourd’hui alors que je ne suis pas héritier d’un clan décisionnaire du village.
« Tout d’abord, je souhaitai m’excuser de ma visite impromptue. Je vous comprends et j’entends bien ce que vous dites. J’ai ouï dire de ce qu’il s’est passé aux portes d’or. De bonnes idées, trop coûteuses pour le clan et pas assez de réflexions faite sur le long terme. Sachez, que je considère tout particulièrement les enfants de ce village comme n’ayant aucun clan d’appartenance. Ils sont nos ouailles, exactement, et dans ce but, nous devons être tout particulièrement attentif à leur apprentissage. Le savoir est pouvoir, le pouvoir amène au chaos s’il n’est pas contrôlé. Sauf que si nous avons justement le contrôle sur l’enseignement et l’apprentissage de toutes les ouailles du village, n’est-ce pas bénéfique ? D’ailleurs, ce projet concerne autant les enfants normaux que les enfants possesseurs d’une Bénédiction, nous aurions ainsi la main mise et l’œil sur ces enfants afin qu’il ne puisse pas y avoir de débordement au village. »
Bien sûr, j’avais déjà réfléchi à ces réponses, quoi de mieux que de répondre à une personne ce qu’il souhaite entendre ? Le plus génial dans tous ça, c’est que ce que je suis en train d’avouer, c’est la stricte vérité. Bien sûr que je souhaite avoir le contrôle sur les enfants, pour le bien du village. Je suis un homme bon après tout.
« Il n’y aura pas de risque zéro, bien entendu. Je souhaitais vous présenter mon projet en premier lieu pour tenir à une parole donnée d’un de mes associés. Dans un premier temps, il était prévu d’investir un bâtiment rénové de la vieille ville pour y loger les Orphelins du village et pouvoir ainsi commencer leur apprentissage. Ensuite, lorsque j’aurai assez d’argent et de main d’œuvre, je comptais ouvrir une véritable Académie au cœur même de la Vieille ville. Donner un coup de jeune à cet endroit, qui plus est, n’appartenant officiellement à aucun clan, est le plus opportun et donnera un visage positif au peuple vu que le message sera passé que cet endroit n’appartient à aucun clan. »
Je sortis juste ensuite de ma veste un parchemin avec le résumé administratif des besoins du projet qui devait donc être la seconde étape, mais après tout, dès que j’ai pris la décision de venir ici, je savais très bien que l’étape une était déjà obsolète. Je déposai ensuite le document sur la table et je le tendis au Prince-Héritier.
« Veuillez accepter ce document pour répondre à vos dernières questions. Le public visé est bien entendu tous les enfants du village. Le lieu, comme dit, est la vieille ville. J’ai déjà acquis le terrain nécessaire à sa construction, il me faut juste détruire et reconstruire. Le coût est approximatif. Il me faudrait apparemment trois cents Tael pour couvrir tous les frais ainsi que permettre à l’Académie de prospérer quelques mois, bien assez pour me laisser le temps d’acquérir d’autres fonds. »
Le côté monétaire venait d’être annoncé. C’était le plus inconfortable dans une discussion de nobles. Même si l’argent faisait parti du projet à part entière, ce n’est pas quelque chose que j’apprécie.
« Pour la doctrine, ce n’est pas très compliqué. Dans un premier temps, j’inculquerai le terme de Dons au lieu des Bénédictions qui ont une connotation trop religieuse pour moi. Le terme de Protecteurs en rapport aux protecteurs du village en toute circonstance au lieu d’Élus, pour la même raison que précédemment. Le maître-mot, la neutralité. L’histoire du village sera enseignée, ainsi que celle de chaque clan. Chaque enfant qui grandira pourra se faire ainsi sa propre opinion. C’est dangereux, j’en conçois, par contre, plonger des personnes dans l’ignorance, c’est encore plus dangereux. Par contre, il y aura des règles strictes de comportement, des uniformes, un rythme de vie soutenu, adapté selon leur âge et ce que je préfère, ils logeront à l’Académie. Le matin, six jours par semaine, ils seront éduqués à l’écriture, la lecture et aux histoires du village. L’après-midi, ce sera le temps aux activités arts martiales, chasse et maîtrise de leur Don. Ce sera donc de futurs hommes de terrain, instruits et capable d’envoyer des messages ou tout autre fonction. En tant que partenaire privilégié du projet, le Clan Tsukuri aurait officieusement accès aux fiches des élèves de l’Académie et officiellement, il n’aurait que le pouvoir de décision lors de certaines réunions annuelles pour le budget, par exemple. La neutralité de ce projet et l’apparente cohésion des trois clans est ce qui définit réellement ce projet. Nous gagnerons la confiance du peuple, des autres clans à qui je pourrai demander des fonds supplémentaires afin d’améliorer l’apprentissage des enfants, par exemple. J’ai d’autres idées qui pourraient être bénéfique au clan Tsukuri, mais, malheureusement, je ne suis pas encore assez influent et ma famille n’est plus que l’ombre d’elle-même... Avez-vous des questions, Seigneur Prince-Héritier ? »
Je laissai planer le doute sur ces dernières phrases volontairement. Bien sûr que j’étais un homme d’affaire comme les autres, et pourquoi pas ? Je n’avais pas clairement donné mes exigences, au contraire, je les avais subtilement glissés au cœur de mes dernières phrases. Mes objectifs étaient clairs après tout. J’ai souhaité la création d’une Académie, c’est en bonne voie. Mon clan a trop longtemps vécu dans l’ombre du clan Tsukuri, j’aimerais leur rendre leurs lettres de noblesse comme il se doit et pour ces deux objectifs, je me devais d’être influent, important, assez fort pour être reconnu, quitte à m’allier à des personnes qui ne sont pas de mon clan, mais si mon clan me permettait d’accéder à ce que je souhaite au plus profond, pourquoi refuser. J’espérais honnêtement que mes éclaircissements suffiraient au Prince-Héritier et que j’allais pouvoir concrétiser la construction de mon Académie plus tôt que prévu. En fin de compte, mes objectifs allaient pouvoir coïncider avec ceux du clan, à ma grande surprise. Les cours n’avaient pas encore été choisi après tout, et puis de toute façon, il n’était pas question d’endoctriner la totalité des enfants. Néanmoins, il n’était pas exclu, d’un commun accord avec le Seigneur Izaya en personne ou avec son fils de convenir à un objectif plus discret. En tant qu’investisseur, ils auraient déjà accès aux fiches des élèves, mais contre d’autres privilèges ou cadeaux, auraient accès à quelque chose de plus particulier.