La lueur vacillante de la bougie éclairait péniblement les archives de la Loge de Perfection. Au milieu de toutes ces allées magnifiques, érigées par la grâce d'un travail d'orfèvre, se tenait une aire bien plus austère. En guise de figure de proue, une statue abîmée, d'un seigneur antique tenant dans ses mains une épée. Des lettres d'or avaient été gravées sur la base du buste : « Shashutsuki ». Voilà la déchéance d'une famille autrefois indispensable pour la Dynastie Kenchikuka. Un clan de forgerons émérites, capables de manipuler les fibres même du métal pour en transcender l'utilité, l'existence. Ils étaient ceux dont l'art était capable d'insuffler une voix aux armes. Ils étaient les prêtres-forgerons. Ils étaient Shashutsuki. Et le lendemain, ils étaient devenus des pâles copies de leurs ancêtres.

Les intrigues secondaires avaient néanmoins éveillé les braises de leur passion. Ils persévéraient tant bien que mal dans la poursuite de leur profession, rénovant chaque année l'épée souveraine de Tsukuri Izaya, mais il fallut que l'un des leurs s'enquit à voler la relique pour mettre un coup de pied à fourmilière. Le nom du traître avait fait le tour de la sphère des forgerons : Shashutsuki Fubuki. Un fils unique désabusé, nourri aux contes et aux fantasmes, passant dorénavant ses jours dans les froides geôles de l'Hypogée. Le coup de kick nécessaire pour remettre tout un système en marche, dont le maître forgeron Shashutsuki Rakuen était aux commandes.

Durant sa convalescence, après avoir été empalé par son cousin, l'homme avait eu suffisamment de temps pour peser le pour et le contre, et remettre du sens à sa vie. La solution lui avait paru limpide : il devait se renouer avec la culture de ses ancêtres, dont la Flamme Éternelle faisait partie intégrante. Certes, il était impensable que le maître forgeron la retrouve de son vivant, car il fallait parcourir des bornes et des bornes de terrains hostiles à la vie humaine ; mais était-il toutefois impossible de créer une réplique de cette Fournaise ? Cette introspection devint miracle lorsque l'historien de l'art 美術史家 Bijutsushika retrouva un document d'une valeur inestimable.

Le schéma d'étude de la création d'un alliage supérieur, mêlant acier et un étrange cristal rouge.

C'est ainsi que Shashutsuki Rakuen décida de recruter des forgerons compétents pour mener ce projet à bien ; d'où votre présence à la Loge de Perfection. Après avoir fait le tri sur les candidats potentiels, tous ayant été appâtés par la gloire à portée de main, le maître forgeron vous invita dans les archives du clan Tsukuri.

« Watanabe Dodo, c'est un plaisir de te revoir en chair et en os. Je n'oublierai jamais ce que tu as fait pour moi. Ça m'a changé la vie. Aussi horrible a-t-il été, je n'aurais jamais le déclic sans ce drame. »

Son regard se tourna vers son jeune fils.

« Et toi, tu te sens vraiment à son niveau ? Tu as intérêt à ne pas faire honte à ta mère, mon fils. »

L'éducation forgeronne, à la dure, n'était plus une surprise. Ainsi, ce fut sur ces derniers mots que les derniers candidats recrutés par Shashutsuki Rakuen débarquèrent dans les archives de la Loge de Perfection.

Cela faisait quelque temps maintenant que le borgne et son camarade Inka, encore esclave à cette période, avait été pris dans cette embuscade menée par Shashutsuki Fubuki. Le maître forgeron, Rakuen, était resté en convalescence depuis ce temps, poignardé par cet infâme traître qui, grâce à la bonté du village, c'était fait emprisonné dans les geôles de l'Hypogée. De nombreuses choses s'étaient déroulés pour le borgne depuis ce jour et la protection de l'épée du Seigneur. Depuis, il avait pris conscience de son nouveau pouvoir, de sa relation avec la terre. Il y avait eu également cette nouvelle exploration qui les avait amenés à découvrir ce village, gardé par le Grand Chausseur et la Grande Prêtresse. Et finalement, il y avait eu ce jour funeste, ce combat intense et sanguinaire au-devant des remparts du village, face à cette horde d'animaux, menée par un tigre géant. Suite à ça, l'Invaincu et des émissaires du "Toit du Monde" avait fait leur apparition, souhaitant participer aux Épreuves.

Cela faisait maintenant plusieurs jours, voir quelques semaines, que ce tragique incident avait eu lieu. Le borgne s'était vu promu au rang de Main du Seigneur Izaya, un poste que tout forgeron aimerait endosser un jour. Il avait également monté son équipe de Bokusoumari, en vu des Épreuves qui approchaient à grand pas. Il avait également participé à une sorte d’entraînement collectif, où il avait pu revoir le jeune Shashutsuki Ao, qu'il n'avait plus vu depuis des lustres avant ça. C'est en revoyant ce petit homme, fils de Shashutsuki Rakuen, que le borgne avait repensé à la protection de l'épée sacrée, et plus encore, à ce qu'il avait appris de la Flamme Éternelle.

Presque au même moment, il avait eu vent, en qualité de forgeron, que le leader de la famille Shashutsuki était sorti de convalescence. Mieux encore, il voulait dorénavant mettre la main sur la Flamme Éternelle, ou du moins sur certaines pistes pouvant l'y mener. Pour ce faire, il avait mandaté quelques forgerons et scientifique, afin d'étudier un objet précieux, sur lequel il venait de mettre la main. Une aubaine pour le borgne, lui qui s'était lié à cette famille de forgeron de part cette embuscade, il était animé par le désir de retrouver ou se renseigner sur cette forge légendaire du clan.

Dodo se rendit, comme demandé par le maître forgeron, au sein des archives du clan Tsukuri, au cœur de la Loge de Perfection. C'était un honneur pour le Watanabe d'y mettre les pieds, lui qui n'avait jamais foulé les allées de ce bâtiment rempli de toutes les connaissances dont disposait son clan. Un endroit bien particulier, détonnant des allées gigantesques et magnifiques du reste de la Loge. Le borgne passa alors la porte, s'éclairant à l'aide d'une bougie pour rejoindre le leader Shashutsuki et les autres personnes présentes.

Lorsque ce fut le cas, Rakuen remercia le borgne pour ce qu'il avait fait pour lui, il y a de cela quelque temps. Il est vrai que les hommes ne s'étaient pas revu depuis ce jour.

-" Heureux de voir que vos blessures ne sont qu'histoire ancienne, seigneur Rakuen."

Répondit aussitôt le borgne, accompagnant le tout d'un sourire amical et d'une légère courbette vers l'avant en signe de respect pour son aînée.

-" Je suis également ravi de pouvoir vous aidez dans cette recherche de la Flamme Éternelle. Un tel artefact changerait totalement la donne au sein du village."

Il enchaîna avec son sentiment personnel sur les recherches et autre discussion qu'ils s'apprêtaient tous à avoir. Après tout, cet artefact était considéré comme un légende, presque comme un conte pour enfant. Si les hommes présents, aujourd'hui, arrivaient à mettre la main sur des indices, ou mieux encore, cela aurait un impact non-négligeable sur le village. Ne serait-ce que pour la famille Shashutsuki, mais également pour le clan Tsukuri dans sa totalité.

-" Salut Ao, content de te revoir encore !"

Un sourire en direction du petit homme à ses côtés, tout en lui tapotant légèrement le haut de la tête. Le borgne était excité, l'envie d'en savoir plus et d'écouter ce qu'avait à dire Rakuen étaient bien présentes.

Le maître forgeron Shashutsuki Rakuen accueillit ses collègues avec respect, leur offrant à chacun une révérence soutenue, qu'importait leur grade honorifique, ou le sang coulant dans leurs veines. En ce jour symbolique, où l'on parlait de ressusciter la Flamme Éternelle, tous méritaient une attention notable. Même s'il n'était pas l'héritier, ni le seigneur de la famille Shashutsuki, Rakuen pouvait se vanter de posséder une réputation saine, qui légitimait grand nombre de ses prises de position. Sur la scène politique, on pensait d'ailleurs plus au vieil homme, qu'au véritable responsable de la famille, lorsqu'il était question de répondre aux problématiques. Et le maître forgeron comptait bien mettre cet avantage de notoriété à profit pour mener ses projets à bien, en compagnie des siens.

« Nous n'allons nulle part, mon fils. La Flamme Éternelle renaîtra au sein du village. »

Le dignitaire soutint son poids à l'aide d'une canne pour se diriger vers le buste dédié aux ancêtres de sa famille. Dans un mouvement lent, il récupéra un coffre sous le bras, suffisamment lourd, qu'il plaça alors en évidence.

« Depuis tout ce temps, notre salut se cachait juste sous nos yeux. Perdu au fin fond d'un Codex méconnu décantait une règle, une recette, un moyen pour créer... davantage que de l'acier. Le seul obstacle à la concrétisation de cette prouesse était le manque d'informations sur ce réactif étrange – cette poudre de cristal rouge. Aujourd'hui, ce n'est plus un problème. »

Le maître forgeron ouvrit aussitôt le coffre. Son contenu arracha les yeux de son audience réduite.

« Nous allons changer la donne. »

Du bijuuseki. En grande quantité. Débordant presque de son conteneur. Vibrant d'une énergie palpable. D'où est-ce que venait toute cette matière ? Depuis quand la famille Shashutsuki possédait-elle un tel trésor ?

« L'invasion des animaux n'a pas signé notre trépas. Ça n'était pas une malédiction, mais une bénédiction. Notre récompense pour avoir survécu à un tel assaut. Certains de ces animaux... possédaient cette énergie au fond d'eux. Dans leur sang. Qui a l'étrange particularité de se cristalliser au contact de l'air. Ça pouvait être n'importe quoi, au demeurant. Trois fois rien. Mais, quelques jours plus tôt, le Bijutsushika avait retrouvé ce Codex en rangeant les Archives. Coïncidence ? Je n'espère pas. »

Une lueur d'espoir avait point dans l’œil du maître forgeron. La Fournaise. La Flamme Éternelle. Toutes ces légendes ayant fait la gloire de ses ancêtres. Pouvait-il véritablement la retrouver ?

« Je crois sincèrement que ce cristal est la clé qui nous a toujours manqué. Et nous allons nous en servir pour créer un métal plus résistant que les morceaux de fer qui nous servent d'équipement. »

Le vieil homme referma le coffre pour maintenir les regards – et l'attention de ses pairs – vers lui.

« Nous allons former des binômes de recherche. Chacun se verra attribuer une partie de ce cristal empreint d'énergie, qu'il faudra manipuler avec soin, sans contact direct avec la peau. Et nous essayerons de trouver le moyen parfait pour concevoir cet alliage transcendant la raison. »

L'ensemble des invités triés sur le volet par Rakuen semblaient être arrivés au rendez-vous. De nombreux membres du clan Shashutsuki, voir l'intégralité de la troupe d'experts forgerons recouvraient les coins de la pièce sombre. Le jeune Ao était ici également, et au dire de son père, il était temps pour lui de prouver qu'il n'était plus ce simple enfant, mais bien un adulte de grande importance en devenir. Pourtant, toujours de son côté enfantin, il répondit aux salutations du borgne en lui adressant une grande étreinte, comme il le faisait depuis longtemps maintenant. Dodo accepta le câlin avec le sourire, heureux de revoir une nouvelle fois ce jeune homme avec qui il avait partagé de nombreuses journées durant son enfance, le considérant, presque, comme un petit frère.

Une fois la salle remplie de personnes avides de connaissance et intrigué par les propos du maître forgeron, ce dernier pris la parole, s'adressant à son assemblée. Accompagnant son discours d'un mouvement lent, encore marqué par les stigmates de son agression, il prit alors la direction d'une statue symbolisant l'ancienne gloire des Shashutsuki. Il attrapa, sous son bras, un énorme coffre, qu'il qualifiait comme "le salut" qui se cachait sous les yeux de tous. Reprenant sa place initiale, il déposa le coffre milieu de l'assemblée, pour que tous puissent admirer son contenu. Contenu qui ne manquait pas de faire réagir instantanément le borgne et le reste de l'audience. Le sourcil de son œil unique s'arqua, la pupille s'écarquillant de tout son possible.

Face à eux, face à Dodo, un amas de ce cristal rouge qu'il avait déjà vu auparavant. Ce sang d'animaux légendaires et magiques, se cristallisant pour couvrir les blessures. Ces cristaux rougeoyants, scintillants de milles-feux, étaient clairement du même type que ceux qu'avait laissé échapper le Grand Chasseur du village des prêtresses, lors de son affrontement avec le sauvage, Inka. Dodo connaissait une partie des propriétés de ce cristal, la cicatrisation quasi-instantanée d'une blessure, mais surtout, la possibilité d'éveiller un pouvoir caché dans le corps de tous, en contrepartie d'une légère forme d'addiction ou d'attirance pour le matériau du jour.

Visiblement, le Codex dont parlait Rakuen, avait émis d'autres propriétés liés à ce cristal, notamment celle de pouvoir se mélanger à d'autres matériaux afin de former des armes, des armures ou autre pièce, aux capacités presque magiques. Un doute qui planait encore légèrement dans l'esprit du borgne venait de s'envoler avec la déclaration du maître forgeron. Nul doute que l'épée sacrée du Seigneur Izaya était une de ses armes aux propriétés exceptionnelles forger à l'aide de ce sang cristallisé.

Des binômes allaient donc être formés afin d'essayer de mieux comprendre ce cristal et mettre au point quelques techniques pour mêler le fer et le bijou. Dodo s'étonna, quelque peu, que ses recherches se déroulent en ces lieux, dans un endroit ne disposant d'aucun outil lié à la forge. Pourtant, les Shashutsuki disposaient dans leur domaine, de quoi faire tout un tas de test directement avec le métal et les hauts-fourneaux.

Ao prit la décision de se mettre en binôme avec le Watanabe, qui ne voyait pas d’inconvénient à travailler avec le petit homme. Même s'il n'était pas le plus brillant forgeron ici présent, ou un grand scientifique, il aurait à cœur de satisfaire les attentes de son père, une bonne chose pour le borgne. De plus, les capacités magiques et irréelles du cristal, aurait tout intérêt à être soumise à l’œil d'un esprit créatif et innocent comme Ao, qui n'aurait en limite que son imagination.

-" Très bien Ao, faisons de notre mieux pour percer le secret de ce trésor!"

Lui adressa Dodo accompagné, une nouvelle fois, d'un sourire. Puis le borgne se mit en direction du coffre, attrapant un morceau de tissu afin de ne pas rentrer en contact avec le cristal, comme l'avait préconisé Rakuen, avant de prendre un morceau de ce sang solide et de le déposer sur une table mise à disposition pour le binôme composé des deux jeunes hommes.

-" Sachez que ces cristaux renferment bien des propriétés spécifiques, notamment en lien avec cette énergie que tous appel "chakra". Le seigneur Rakuen à raison, ce cristal ne doit pas entrer en contact avec votre peau! Soyez prudent, et redoublez d'imagination afin que la Flamme Éternelle revoie le jour dans ce village."

Un petit discours à l'attention des membres de l'assemblée, puis le borgne se pencha sur son cristal. Le tenant toujours à l'aide d'un tissu, le borgne le passa devant son visage, au niveau de son œil, pour en contempler toute la beauté.

-" Dis-moi Ao, j'ai pu voir lors de l'entraînement collectif au Stade de l’Épreuve, que ton pouvoir était en lien avec le métal, tu crois que tu pourrais en créer une petite quantité pour qu'ont test sa réaction au contact du cristal?"

Peu d'idée venait pour l'instant à l'esprit du borgne, qui aurait été plus à l'aise dans sa forge habituelle, se servant de son marteau et de son enclume pour percer les secrets de ce bijou. Mais nul doute que l'excitation de faire revivre la Flamme Éternelle le gagnait petit à petit.

La présentation du projet était terminée. Shashutsuki Rakuen avait transmis ses directives à ses plus proches compagnons – et, de surcroit, des forgerons émérites – et n'attendait maintenant que des résultats concrets. Afin de guider son audience privée sur le chemin de la réussite, le maître de la cérémonie s'arma de gants, pour ne pas contracter cette fâcheuse maladie dont certains élus faisaient mention, et prépara une dose d'environ 250g de bijuuseki à chaque groupe, dans des bourses étanches en cuir, lassées, et scellées.

« Ces dernières heures, la forge du clan a été mis au goût de ce projet. Vous aurez chacun la possibilité de travailler sur votre propre poste, si toutefois vous souhaitez œuvrer dans l'isolement. »

Des moyens dantesques mis en place dans le secret le plus total, sinon la confidence du clan Shashutsuki. Le seul problème que pouvait connaître ce plan eût été l'existence de taupes rebelles, à l'instar de Fubuki, enfermé dans les geôles de l'Hypogée. Mais, aux dernières nouvelles, son cas était unique – exceptionnel.

« Faites en sorte de noter précisément les détails de chaque expérience tentée. On ne sait jamais. D'une erreur pourrait naitre un miracle – mais encore faudrait-il pouvoir la commettre de nouveau. »

Les premiers groupes remercièrent le maître forgeron, et quittèrent aussitôt les archives de la Loge de Perfection pour rejoindre la forge du clan. Même si des idées folles pullulèrent dans leurs cerveaux, ils s'enquirent de rester muet tant qu'ils n'étaient pas arrivés à destination. Après tout, disposer d'un métal supérieur au fer représentait un atout de taille, qui pouvait peser sur la balance de l'équilibre des trois clans fondateurs. Une armée disposant d'un meilleur équipement redoublait de légitimité. Et cette armée se voulait venir du clan Tsukuri.

Le jeune Ao était plus excité par la présence du cristal et de tout ce trésor que par l'objectif final qui devait en découler. Nul doute que son caractère enfantin était encore bien ancré en lui, ce qui n'était pas déplaire à Dodo, qui trouvait le petit homme débordant d'énergie et pleins de bonne volonté. Malgré ça, l'aide qu'il allait lui apporter pour ses recherches seraient peut-être moindre que ce qu'il aurait espéré, ignorant totalement la demande du borgne.

Alors que ce dernier admirait encore le joyau qu'il tenait dans un bout de tissu, le seigneur Rakuen repris la parole. Finalement, et comme l'espérait le Watanabe depuis qu'il avait eu vent de ce projet et de la présence des cristaux rougeoyants, la forge des Shashutsuki allait être mise à leur disposition. Une véritable aubaine pour tous les forgerons présents ici. La forge des maîtres forgerons étaient ce qu'il se faisait de mieux en matière d'outils. Des haut-fourneaux de grandes qualité, des outils neufs et solide, des matériaux et autre accessoire en tout genre serait également à leur disposition. Le borgne marqua un léger sourire, en tant que forgeron, il était excité de pouvoir se mettre au travail dans ce bâtiment.

Un petit sac de cuir fut distribué à l'ensemble des binômes, composer d'une partie du trésor se trouvant au pied du maître forgeron. Chaque groupe se verrait disposer d'une bonne quantité de cristaux, afin de mettre en pratique toutes les idées qu'ils avaient en tête. Le borgne l'avait bien compris, il n'y avait aucun chemin ou protocole à suivre, il fallait simplement tenter, essayer, imaginer, tout un tas de facéties qui permettrait de faire passer le clan Tsukuri à un domaine supérieur. Le Watanabe ne pouvait cesser d'imaginer la renaissance de cette Flamme Éternelle au sein du village, et encore plus, au sein de son clan qu'il admirait tant.

-" Seigneur Rakuen, je suis honoré de pouvoir mettre mes talents à profit dans votre forge."

Une phrase pleine de sincérité accompagner d'un geste amical, puis le Watanabe prenait le petit sac mis à sa disposition avant de disparaître dans les couloirs gigantesques de la Loge de Perfection, en direction du domaine Shashutsuki.

Quelques minutes d'une marche réflexive et le borgne, accompagné de son jeune acolyte, arrivait à destination de la forge, où certains binômes avaient déjà commencé leurs travaux. Prenant place sur un poste mis à leur disposition, le Watanabe s'empressa de déballer le contenu du sac, toujours enroulé dans un tissu pour éviter les contacts, sur un petit établi.

-" Bon, Ao, la première étape est sûrement la plus simple et la plus logique. Je vais faire fondre une quantité de ses cristaux dans le haut-fourneau, pareil avec une bonne quantité de métal. Une fois le tout à l'état liquide, je les ferais refroidir en un seul et même amas matériau, avant de le forger pour en voir les caractéristiques."

Le borgne expliquait au petit homme ce qu'il s'apprêtait à faire, tout en commençant son œuvre. Une fois la fournaise tournant à plein régime, il pris une bonne quantité de cristaux, ses mains protégées par des gants qu'il venait de revêtir, qu'il mit alors en position au cœur du fourneau. Une fois cela fait, il pris en sa possession la même quantité de fer, avec lequel il effectua le même rituel.

-" De ton côté, si tu pouvais essayer de mêler ton acier avec les cristaux."

Après sa première tentative de faire participer le jeune Ao, qui fut un échec, le borgne réitéra sa question. De l'acier composé en grande partie de chakra permettrait peut-être de créer un lien avec ses cristaux magiques. Il n'y avait plus qu'à attendre, et espérer.

Seuls dans un coin de la forge de Shatshuki aménagée pour l'occasion, Watanabe Dodo et Shashutsuki Aō essayèrent d'établir un plan afin de concevoir l'alliage ultime – celui destiné à redorer le blason du clan des maîtres forgerons. Toutefois, tandis que la Main du clan Tsukuri proposait des idées cohérentes afin de se rapprocher de ce métal quasi sacré, son partenaire préférait rester dans sa zone de confort, et jouer l'abruti, tel que ses proches le connaissaient. À de nombreux égards, il était loin du personnage qu'était Shashutsuki Rakuen, son vieux père. Pour couronner le tout, le jeune élu préféra se moquer des précautions induites par son parent – peut-être par défi d'autorité ? – et empoigna le cristal rouge directement à main nue, pour en voler aussitôt une moitié, serein.

Par chance, Watanabe Dodo était là pour faire le travail. Il pouvait ignorer son collègue turbulent, car, selon toute vraisemblance, il n'était d'aucune utilité. Ainsi, usant du matériel de forge, le Kouha se mit en tête de faire fondre suffisamment de fer, mais aussi de bijuuseki cristallisé, afin de les mêler en un alliage unique, hélas hétérogène. En effet, après de longues minutes de travail, et de ressources consommées pour arriver à une température suffisante justifiant la fonte du métal comme du cristal, Watanabe Dodo put remarquer que les deux produits n'arrivaient pas à se mélanger. Ce lingot semblait être composé de deux parties distinctes, au cœur de fer, et au revêtement de cristal. En soit, la création d'une telle bouture était déjà un exploit ; mais le but n'était pourtant toujours pas atteint. L'arme n'avait rien de magique. Ce n'était pas une relique ; seulement un bout de fer recouvert d'un fil résistant composé de ce matériau inconnu, comme avaient déjà essayé quelques forgerons avec des revêtements d'argent, soit-disant pour abattre plus efficacement les yōkai du monde extérieur. Mais le binôme allait-il s'arrêter là ?

Légère déception, que partagerait sûrement le seigneur Rakuen, d'avoir misé autant d'espoirs sur le petit homme Shashutsuki. Le borgne croyait en lui, de prime abord, en son envie de prouver à son père sa valeur, ainsi que de passer le cap d'enfant, pour enfin devenir adulte. Mais bon, peut-être que l'attente était trop grande, du moins c'est ce que pensait le Watanabe, voyant le comportement de son jeune ami. Ils avaient tous les deux évolués à leur manière depuis leur jeune âge, bien que Dodo sois plus âgé que lui, il n'aurait pas imaginé une telle différence entre eux, maintenant qu'ils avaient tous les deux grandis. Sur-protection, argent, confort. Voilà ce qui avait sûrement creuser cette différence entre Ao et Dodo.

-" Ao. Personne ne devait toucher le bijuuseki à mains nues. Et en plus tu voles ton propre père et ta propre famille. Tu devrais avoir honte. C'est mieux si je continue les expériences tout seul. Va jouer dehors, ça sera mieux."

Une qui laissait transparaître la colère et l'amertume, alors que le ton employé se voulait calme et sérieux. Le borgne n'était pas là pour rire et encore moins pour transgresser les règles. Non, il avait une mission aujourd'hui, une mission qu'il s'était juré de mener à bien il y a déjà de nombreuses semaines maintenant. Il n'avait pas de temps à consacrer à des enfantillages, l'avenir de son clan se jouait, en partie, en ces lieux. Le borgne détourna le regard du petit homme, il ne voulait pas perdre plus de temps à jouer les nourrices.

Mais une deuxième désillusion le frappa de nouveau, le touchant plus profondément cette fois. Son expérience, mélangeant cristaux et fer, combinant les deux matériaux dans la même pièce et le même amas, avait échoué. Oui les deux entités s'étaient mélangé, ce qui paraissait être un bon point, mais elle restait trop distincte, trop hétérogène. Il était clair que l'arme ou l'armure qui serait forgée avec ce nouveau matériau, n'aurait rien de plus transcendant que les autres, et n'arriverait pas à la cheville de l'épée sacrée du Seigneur Izaya ou des autres merveilles qui semblaient avoir créée la Flamme Éternelle. Le borgne se stoppa alors un instant, contemplant l'échec de son entreprise. Il fallait se ressaisir, après tout, il savait qu'il n'aurait pas pu trouver si facilement ce que nombreux cherche depuis des centaines d'années.

Malheureusement le stock de bijuuseki mis à contribution pour son "binôme" venait de baisser drastiquement, de part la première expérience de Dodo et l'immaturité du jeune Shashutsuki. 1 essai, peut-être 2, voilà tout ce qu'il restait au borgne afin de percer les mystères de cette forge légendaire. Se frappant le crâne à l'aide d'une de ses mains, le Watanabe se sortait de sa torpeur liée à la déception, il devait y arriver, il allait y arriver. Cette fois, il utiliserait moins de cristaux, et tenterais une expérience plus minime, plus précise et surtout plus farfelue. Une idée venait de grandir en son esprit, lié aux nombreuses images concernant ses cristaux rougeoyants et leurs origines.

Amenant avec lui, toujours la main gantée, le plus gros cristal qu'il y avait de disposé sur cette table, le borgne repris place derrière son fourneau. Reprenant une bonne dose de fer, il se mit à le faire fondre, durant de longue minutes, laissant le temps au haut-fourneau de liquéfier l'ensemble. Seul le fer était fondu cette fois, le cristal restait de côté. Le Watanabe attrapa également ses outils, afin de donner une forme circulaire au fer, précédemment fondu, à l'image d'un petit bouclier. Au centre de cette petite pièce d'armure, un trou béant était laissé, permettant d'encastrer le cristal, dans son intégralité, au centre de la création du borgne.

Une fois le tout fait, et le cristal bien soudé au reste de l'œuvre, l'expérience ne s'arrêtait pas là. C'était ici, que l'idée saugrenue du borgne prenait naissance. Attrapant un petit morceau de fer, aiguisé, sur le bord de son enclume, le borgne le porta à sa paume. D'un coup net et précis, une plaie s'ouvrait sur la paume du jeune homme, laissant couler le liquide rougeoyant sur le cristal placé au cœur du fer. Sang, alliage, cœur cristallin. Le borgne n'y croyait pas vraiment, mais son instinct lui intimait de tenter cette expérience.

Il devait y avoir des échecs. Après tout, personne ne connaissait le secret derrière la création d'artéfacts, et ce fut la raison pour laquelle autant de forgerons, comme de moyens, avaient été mis en place. À son rythme, Watanabe Dodo essaya des méthodes farfelues pour réaliser ses idées, mélangeant tantôt fer et bijuuseki dans le haut-fourneau, insérant tantôt une gemme brute de cristal dans un emplacement prévu à cet effet. Hélas, la réalité le frappa une seconde fois dans les jambes. Au moment où il s'entailla la main pour verser son sang sur la pierre incrustée dans la targe de fer, celle-ci se mit à... fondre. Semblable à l'action de l'acide sur une surface trop fragile, chaque goutte de sang vint grignoter le cristal pour le réduire sous une forme liquide, dont l'excès commençait à déborder de l'emplacement initial du bijuuseki. La Main d'Izaya venait de trouver l'une des propriétés maîtresses de ce réactif mystérieux, et empreint d'énergie. Mais était-ce la clé du succès, ou un simple contre-temps ?


Peu après cette seconde expérience, un binôme de forgerons rejoignit Watanabe Dodo et son acolyte inutile. Curieux de l'évolution subite qu'avait connu le Borgne ces derniers mois, ils voulaient profiter de l'expérience de leur interlocuteur pour se serrer les coudes, et travailler à quatre cerveaux, et huit bras, afin d'essayer de se rapprocher du divin. Ça, et le fait qu'ils avaient dilapidé toutes leurs doses de bijuuseki dans des expériences moindres, se retrouvant fort dépourvus après leurs quatre échecs. Mais, pour le bien de leur image, ils gardèrent ce détail secret.

« Tiens, vous aussi vous avez réussi à faire fondre le cristal avec du sang ?
— Il est quand même bizarre, ce caillou.
— Bah, c'est quand même du sang de monstre. Il y a un lien. »

En un claquement de doigts, les deux forgerons avaient imposé leur discussion, comme leur présence, à Dodo et son commis. L'un croisa ses bras à hauteur de buste ; l'autre plaça ses mains sur sa taille ; mais tous deux attendaient quelque chose, comme s'ils avaient été aux côtés de la Main depuis le début de l'entreprise.

« C'est quoi la suite ?
— Bah, tu sais, moi, tout ce liquide, ça m'inspire un trempage.
— Un trempage ?
— Si on égorge un porc dans un abreuvoir, et qu'on y fout suffisamment de pierres pour le saturer en énergie, peut-être que ça pourra imprégner le métal au moment du refroidissement ?
— Et t'as un porc sous la main, toi ?
— J'ai peut-être l'ami d'un ami qui en a un, mais avec le blocus de la Ceinture Noire... »

La scène était surréaliste.

« Oublie cette idée de trempage. Ça servirait à quoi ?
— Eh, on a toujours pas essayé. Pas vrai ? »

L'un des deux compères avait posé la question à Watanabe Dodo.

« Déjà, pourquoi on travaille encore sur du fer ? Il n'y a pas moyen d'avoir un élu capable de durcir le métal, avec tous les moyens que Shashutsuki Rakuen a mis en place ?
— De l'acier. C'est de l'acier.
— Ce n'est pas un consensus. Mais je soulève un bon point, non ?
— De ?
— Du rapport fer-cristal par rapport... eh bien, justement, au rapport "acier"-cristal.
— Du sang de monstre. C'est du sang de monstre.
— Ce n'est pas un consensus non plus. Et tu veux vraiment jouer sur les mots ? »

Certes, la désillusion l'avait une nouvelle fois frappé de plein fouet, un nouvel échec et son stock de cristaux diminuant d'un seul coup d'œil, mais l'espoir du borgne ne vacillait pas, ne vacillait plus. À travers cette expérience et cet échec, il avait appris à connaître l'une des propriétés importantes de ce mystérieux cristal. Le sang l'a fait fondre, le sang de base, le sang d'une personne ordinaire. Une légère vapeur s'échappait du cristal lorsque les gouttes de sang qui s'écoulaient de la paume de l'aveugle entraient en contact avec lui. Le sang le faisait fondre, le rendant à nouveau liquide, tout comme le fer bouillant faisait fondre la peau. Le Watanabe s'arrêta, prenant ce nouveau revers à bras le corps. Mais contrairement au précédent, il avait pris du recul par rapport à la situation. Ce n'était peut-être pas lui qui allait réussir à créer cette Flamme éternelle ou cette Fournaise que tout le monde espérait voir renaître, mais c'était bien l'expérience de chacun, réuni sous la même bannière de cette action commune. C'est le travail d'équipe, l'entraide, qui allait permettre au clan Shashutsuki de faire revivre son trésor et sa plus grande fierté.

C'est lorsque le borgne a pris du recul, en pensant à ce travail d'équipe, que, signe du destin, deux hommes ont fait irruption dans l'atelier mis à la disposition de son binôme. Du moins ce qu'il restait de son binôme, puisque le petit Ao avait écouté les conseils du borgne lorsqu'il était parti faire son travail d'enfant hors de ses murs. Le duo de forgerons inconnus, sûrement doté d'un grand potentiel pour avoir été appelé par Lord Rakuen, venait de s'introduire près du borgne, commençant leur discussion comme si ce dernier n'était pas là. Apparemment, ils avaient également découvert la propriété du cristal qui fond au contact du sang, une phrase qui a porté un coup au moral des Watanabe, se sentant légèrement en retard sur tous les autres. Ses expériences étaient si inutiles, si futiles ? Méritait-il la position de Main du Seigneur Izaya ? De nombreuses questions s'entremêlaient alors, remettant en cause son incompétence et sa position auprès de son seigneur. Un léger coup de sa main ensanglantée frappa le bord de sa fournaise, sa déception grandissant une fois de plus.

Mais l'espoir revint petit à petit, au fil de la discussion entre les deux hommes. Ils soulevaient tous les deux des points auxquels Dodo n'avait même pas pensé, ni même envisagé. Son attention se porta alors sur les deux forgerons, un binôme comme il aurait dû l'être depuis le début, leurs phrases se complétant, s'interrogeant l'une l'autre, leur travail d'équipe sautait aux yeux. Le borgne en prenait une nouvelle fois conscience, et bien plus maintenant qu'il l'avait sous le nez: l'entreprise collective, voilà la clé de la réussite.

-" Effectivement je n'ai pas non plus tenté cette idée de trempage, elle ne m'était même pas venu à l'esprit pour tout vous dire."

Le borgne couvrit ensuite la plaie sur sa main à l'aide d'un tissu, qu'il serra bien fort pour stopper l'effusion de sang, au moins le temps de mener à bien cette entreprise. Il s'approcha ensuite des deux hommes, formant maintenant une sorte de triangle de réflexion.

-" Je vois que nos différentes idées nous ont conduits à des résultats différents ou similaires. Pourquoi devrions-nous nécessairement agir à deux ? Et si nous pensions tous ensemble afin de percer le mystère de cette Flamme éternelle ? Le mérite en reviendra à tous les acteurs et non à un solitaire qui a eu un coup de chance".

Le borgne expliqua maintenant son idée. Il est vrai que Rakuen avait mis à la disposition de tous des moyens colossaux, ce qui était une bonne chose. Mais il avait sûrement commis une erreur, celle de vouloir séparer tous les acteurs du jour par paires, chacun ayant une infime partie de ce trésor de bijuuseki, ce qui a obligé les forgerons et autres scientifiques à réduire leurs essais à une poignée, alors qu'une entreprise commune menée par une réflexion collective et un stock commun de cristaux leur aurait permis de ne pas gaspiller les pierres dans des expériences similaires.

-" Qu'en dites-vous ? Vos idées sont très différentes des miennes et je dois dire qu'elles sont plutôt bonnes. Malheureusement, il ne m'en reste qu'une petite partie, je ne peux donc pas me lancer dans une expérience sans la conviction qu'elle réussira".

Dodo souriait légèrement à ses interlocuteurs, accompagné d'une tape sur l'épaule de celui qui se trouve à sa gauche.

-" Messieurs, rassemblez le plus grand nombre possible de scientifiques et de forgerons encore présents ici, ainsi que tous les stocks de cristaux encore en usage. Faites-leur comprendre qu'une réflexion collective sera menée afin de minimiser le risque d'échec. Une fois cela fait, les plus enthousiastes d'entre nous commenceront à mettre en œuvre les premières idées, ou celles qui auront reçu les avis les plus positifs. Si nous rassemblons le plus grand nombre de cristaux possible, nous pourrons faire beaucoup plus d'expériences, qui seront également plus utiles que les tentatives désespérées ou celles déjà faites par d'autres. Chacun apportera avec lui les connaissances qu'il a acquises sur cette mystérieuse pierre et les différents alliages".

L'œil du borgne brillait avec l'idée que ce duo singulier lui avait donnée. Cette idée, qui mettrait en lumière les différentes propriétés du cristal ainsi que les réactions des différents alliages, permettrait à toutes les personnes présentes, de développer la meilleure stratégie pour faire revivre ce véritable joyau qu'est la Flamme éternelle.  

-" Vous avez également parlé d'élus qui pourraient créer de l'acier ou transformer le fer. Rassemblez-les aussi, les différents alliages peuvent jouer un rôle particulier, comme vous l'avez dit ! Ensemble, nous réussirons à faire revivre le clan Shashutsuki et sa légende".

Les poings de l'homme borgne se serrèrent, son visage fut marqué par un sourire naissant, signe de son excitation future. Les déceptions et les échecs ont été mis de côté, c'est maintenant l'espoir et la fraternité qui parlent et qui prendront le dessus. Le borgne a alors regardé dans les yeux de l'homme à sa droite.

-" Pour les plus réticents, leur faire comprendre qu'il s'agit d'une demande formelle de la Main du Seigneur Izaya."

L'appel de guerre fit vibrer les murs de la forge Shashutsuki. Après moult essais, et moult échecs, le Borgne avait enfin décidé de prendre les choses en mains, usant de sa notoriété, et de ses faits d'armes récents, pour essayer d'attirer tout le monde à lui. Ce qu'il réussit à faire avec brio. Après tout, chaque forgeron présent en ce jour avait entendu l'histoire du sauvetage de leur représentant émérite : le maître forgeron Rakuen Shashutsuki. Si ce dernier pouvait encore respirer, et porter sur ses épaules le projet de résurgence de la Flamme Éternelle, c'était assurément grâce à la Main du Seigneur. En quelques minutes, après la conclusion des expériences respectives de chaque groupe, tous les forgerons se réunirent dans la pièce centrale pour écouter le discours de Watanabe Dodo. L'idée était claire, et intéressante : rassembler les réserves restantes de cristal pour créer une pièce commune. Fort heureusement, le Borgne apporta lui-même une pierre à l'édifice. Venir les mains vides aurait été très mal vu.

Ainsi commença un long débat sur les avantages et inconvénients de telle ou telle méthode.

L'on parla de trempage au sang et au bijuuseki ; de création d'un alliage empreint de chakra ; de combustion d'os de tigre géant afin d'apporter davantage de carbone au fer ; mais personne n'arrivait à se mettre d'accord sur la piste à suivre. Il y avait trop de possibilités. Trop de marge d'erreur. Trop d'inconnu. D'où le fait de séparer tous ces forgerons en petits groupes afin de séparer les mauvaises idées des bonnes, et ainsi pouvoir approcher la vérité.

« Bon... avec tout ça, on est pas sorti de l'auberge.
— Ni de la berge.
— Ferme-la, bougre d'idiot. »

Les deux compères de tantôt – s'étant greffé au groupe solitaire du Borgne – ne s'étaient toujours pas mis d'accord. Leurs collègues forgerons avaient donné du crédit à leurs deux idées, certes – mais aucune ne sortait véritablement du lot. Fallait-il utiliser du fer renforcé au chakra ? Fallait-il faire refroidir sa lame dans un bassin de cristal et de sang ? Après un délai conséquent, les deux amis se fixèrent, et reçurent la même illumination.

« Et si on faisait les deux ?

Le premier forgeron secoua vivement de la tête.

« Attends, quoi ? On est vraiment d'accord, là ?
— Bah ouais, excellente idée ! On a qu'à mettre toutes les chances de notre côté !
— Non mais, tu n'es quand même pas sérieux à vouloir suivre mon idée de trempage, quand même ?
— Pourquoi pas ?
— T'as une idée de la quantité de sang qu'il faut ? C'était une blague !
— Non, non, moi j'aime bien ton idée. Il fallait oser ! C'est... osant. »

Une chose en menait à une autre. Après les négociations, il fallait maintenir résoudre le problème logistique. Comment réunir suffisamment de sang pour remplir une tour de trempe ? Combien en fallait-il ? Pour combien de grammes de bijuuseki ? Et quel était le ratio idéal « sang-bijuuseki », pour commencer ?

« Allez les amis, on met tous la main à la patte !
— Notre ami le Borgne a mis cinquante grammes sur le tapis. Qui dit mieux ?
— Ne faites pas les avares, c'est pour la bonne cause ! »

L'audience était perplexe. L'un d'entre eux, un élu affin au Kôton – cette bénédiction lui conférant la possibilité de renforcer le fer – se tenait au devant de la scène, les bras croisés, toisant les deux imbéciles de haut.

« J'aurais préféré que ces deux-là aient eu l'idée d'attenter à la vie de Rakuen, et que l'on récupère Fubuki à la place. Lui, au moins, il avait une once de décence et de talent pour sa profession. »

Le ton de sa pique, mitigé, peinait à se placer sur un bord du débat. Il n'avait pas été sérieux, évidemment, en souhaitant ainsi la mort du maître forgeron ; mais son affection pour le traître ne semblait pas non plus innocente.

« Que quelqu'un les tienne en laisse. »

L'élu posa son regard lourd de cernes sur l’œil unique de Watanabe Dodo. Avait-il de quoi porter ce projet ?

L'appel avait été entendu. Avec l'aide et les idées du binôme farfelue et un peu trop complémentaire, l'ensemble des forgerons présents pour cette mission du jour- celle de faire revenir à la vie une véritable légende - se réunissaient au bout de quelques minutes dans la plus grande pièce de la forge des Shashutsuki. Avec eux étaient centralisés l'ensemble de cristaux restants. Les réserves du Borgne, qui était bien maigrelette, complétaient cet amas de bijuuseki, l'équivalent de presque la moitié du "trésor" de base. De quoi permettre à tous quelques expériences communes, à moins qu'un coup de poker sois tenté, d'utiliser l'ensemble des ressources si la meilleure idée qui allait ressortir de cette émulsion collective.

Le binôme de forgeron avait rempli son rôle à merveille, rameutant l'entièreté des personnes disponibles. Les récents exploits du Borgne avait peut-être quelque peu jouer en sa faveur, mais sans cette paire loufoque, ses tentatives se seraient sûrement toute soldée par un échec. Le Watanabe s'approcha alors d'eux, les remerciant d'une tape sur l'épaule et d'un sourire amical. Il se rappellerait d'eux, du moins, si le projet venait à aboutir sur l'objectif final : la renaissance de la Flamme Éternelle. Et si finalement, cette "flamme" n'était que la méthode afin de créer ses armes légendaires. Bien loin d'un véritable feu, mais plutôt un nom, enjôleur, afin de résumer en une simple appellation, la technique ultime, celle qui permettrait au clan Shashutsuki, aux Tsukuri et à plus grande échelle, au village, de passer un cap, une marche colossale sur le progrès. Avec l'apparition du chakra et des différents pouvoirs, les armes et armures basiques, commençaient à connaître leurs limites. Il fallait voir plus grand. Et en ce jour, Rakuen l'avait bien compris et l'avait bien fait comprendre, c'était ici, dans cette forge, que l'on rêvait plus grand.

De longues minutes s'étaient écoulées, l'ensemble du consensus forgeron débattait, depuis un moment maintenant, sur la bonne technique, les bons dosages, les bons matériaux, la possibilité de l'utilisation du chakra etc. Et comme, principe même, de réflexion collective le veut, de nombreuses idées sont balayées, remises en cause, ouverte sur un autre sujet. Le borgne essaie tant bien que mal de rajouter sa pierre à l'édifice, mais il se contente d'écouter, de comprendre, de noter toutes les idées de chacun, afin d'avoir une base de réflexion. Le système de petit groupe créé par Rakuen prenait son sens ici, afin de tester de nombreuses idées de manière rapide et sans être amené au débat perpétuel. Mais le borgne le sentait, maintenant, il était temps de rassembler les idées, les tests, les échecs, les semblants de réussite, afin, qu'avec les dernières réserves de cristaux, la flamme éternelle revoit le jour dans cette pièce centrale.

Ce fut après un nouvel "éclair" de génie, ou bien de chance, des deux camarades complémentaires, que le borgne en était conscient, ils touchaient tous au but. Du moins, il l'espérait intimement. Un homme, visiblement irrité par le comportement des deux autres, prit la parole. Le borgne écouta attentivement, et ce qu'il venait d'entendre ne lui plaisait guère. Fubuki. Ce nom. Ce lâche, cet homme ayant attenté à la vie de Shashutsuki Rakuen en personne venait d'être cité par l'homme aux bras croisés, qui se tourna en direction du borgne. Croyait-il vraiment que Dodo allait donner raison à son propos?

-" Ne prononce plus jamais ce nom. Pas devant moi, et encore moins dans la demeure du seigneur Rakuen. Tu déshonores ton maître, en évoquant cet homme qui l'a poignardé dans le dos."

Un ton lent et sérieux. Le borgne se mit en mouvement, s'approchant de celui à qui il s'adressait maintenant, son regard plongé dans le sien, comme pour augmenter la pression, l'acculer, le mettre face à son manque de décence.

-" Que faisais-tu lorsque ton seigneur se faisait transpercer par cet enfoiré de traître? À t'écouter parler on pourrait presque croire que tu es de son côté? C'est vrai? Toi aussi tu penses que ce Fubuki avait raison?"

Les regards des nombreux forgerons, tous issus de ce clan, se posèrent alors sur l'arrogant ayant voulu citer le nom du traître. Le duo se retrouva alors au centre de l'attention, le temps semblait suspendu aux paroles qui allaient être prononcés.

-" Tu n'es qu'un lâche. Ses deux hommes, que tu toises de ton regard arrogant, ont déjà bien plus donné par leurs idées, que toi, avec tes insinuations douteuses et tes mentions au traître. Te crois-tu supérieur à eux? Tu n'es rien, tu n'es personne. Que comptes-tu faire? Comptes-tu prendre la succession de Fubuki et tenter de tous nous poignarder un à un? Ou vas-tu mettre tes services au nom de ton clan, de tes amis, de ta famille?"

Le borgne s'était encore rapproché de son homologue élu, qui pouvait sentir le souffle et le poids des paroles du Watanabe, tant la distance était infime entre leurs deux visages.

-" La Flamme Éternelle renaîtra ici, aujourd'hui. Et je ne laisserais personne, contrecarrer ce projet, et encore moins en salissant le nom du seigneur Rakuen en mentionnant ce chien de traître. Prouves-nous. Prouves-nous que tu es un véritable Shashutsuki, un véritable membre de cette famille, et que tu vaux bien plus que celui qui gît en prison pour sa bêtise et son ignorance. Marche avec nous afin de redorer le blason de ce clan, les maîtres forgerons, les véritables créateurs de légendes. Ou alors sors de cette pièce maintenant, et ne foule plus jamais ce sol que tu souilles."

Le borgne en avait conscience, cet élu, maîtrisant le fer renforcé imprégné de chakra, était la pierre angulaire de l'expérience que l'assemblée s'apprêtait à tenter. Pourtant, il ne pouvait laisser passer un tel affront, que celui de nommer Fubuki dans la demeure même de Rakuen. Le regard noir du borgne entrait dans la tête de l'homme. Allait-il suivre le groupe et possiblement devenir un de ceux ayant fait revivre la Flamme, où allait-il se conforter dans sa médiocrité et les menaces du borgne, en passant le pas de la porte. Une chose était sûre, s'il choisissait de rester, alors l'expérience commencerait dans la seconde.