Au Détour d'un Tour.
Fin d'Hiver, An 2
Il se mit à rire.
Laissant passer deux enfants sous son bras, ceux-ci continuèrent leur course effrénée à travers les Ruelles de Safran. Ici, tout pouvait s’acheter mais aussi, et pour les plus pauvres, se voler. Impossible d’avoir l’œil partout, au même endroit, et certains avaient fait du vol tout un art comme le vieillard comprenait hélas que trop bien. Une vie difficile conduisait bien des hommes, acculés, à voler leur prochain, simplement pour nourrir une famille, un proche dans le besoin. Certains éprouvaient uniquement le goût du risque, la peur d’être pris, l’adrénaline et l’excitation d’une telle course-poursuite. Mais tout cela n’était plus du goût du vieil homme.
Et son cœur n’aurait pas vraiment apprécié cet effort devenu surhumain.
S’arrêtant brièvement à une étale, Kazune, connu des épiciers du coin, saluait tout le monde d’un geste de la tête, discutait avec qui voulait bien de lui. Certains n’avaient jamais vraiment le temps, ou ne voulaient plus vraiment le trouver pour lui, pendant que d’autres pouvaient se montrer que trop bavard. Madame avait décidé qu’elle désirait du pain et du poisson, avec qu’un réassort de quelques épices dont elle commençait à manquer. Et c’était à lui qu’incombait alors la tâche de la satisfaire. Tout en sachant qu’elle irait sûrement se plaindre du temps qu’il avait pris, ou de la qualité du poisson choisi. Une vieille tradition.
« Tu vois, Zhao, tout le monde se connaît par ici. C’est ce que j’aime dans ce Quartier. On se salue, on se parle. Ils ne font pas partie de ma famille, ils ne sont pas mes voisins directs, mais lorsqu’ils te reconnaissent, ils te parlent. »
Zhao était l’un de ses petits-enfants. Lorsque sa fille ne travaillait pas, car elle n’avait pas désiré suivre les pas de ses parents qui travaillaient constamment, elle avait ce qu’elle nommait un congé, une journée où elle pouvait tout arrêter. Ce jour-là, elle laissait ses enfants à ses propres parents et bougeait avec son époux. Une vie que le vieil homme n’approuvait guère, mais dont il se gardait bien de commenter devant ses petits-enfants ou ses Jumeaux. Il n’était même pas certain que son propre fils reprendrait plus l’élevage des quelques bêtes.
Zhao était parfois le plus prometteur. Âgé d’à peine neuf ans, il s’attachait davantage aux animaux que ses propres enfants ne l’avaient jamais fait. Suivant souvent les pas de Kazune, le jeune garçon tentait parfois même de l’imiter lorsqu’il en était capable. Le vieil homme avait ainsi pu l’observer, de temps en temps, amadouer une bête, voire même en calmer certaines. Il était alors l’homme le plus fier de ce bout d’homme.
« Hey, Ishii, tu connais déjà Zhao ? C’est mon petit-fils, sa mère me le laisse de temps en temps. Tu saurais lui expliquer ce que tu proposes exactement ? »
Le marchand hocha de la tête et, se mettant sur ses coudes à son comptoir, jetant quand même un coup d’œil aux alentours.
« Alors, tu vois, bonhomme, ici, on vit régulièrement des échanges, ce qu’on appelle parfois le troc. Tout le monde n’a pas toujours les poches bien remplies, ou il n’a pas eu le temps de le vendre correctement. Par exemple, tu vois ce vendeur de tapis, un peu plus loin, peut-être qu’il n’a pas réussi à tout vendre mais qu’il aurait besoin de mes pains. Je peux par exemple lui échange trois pains contre un mauvais tapis et nous y serons tous les deux gagnants. »
Le garçon, les yeux pleins d’étoiles, continuait d’écouter le marchand qui continuait ses explications sur le mode de vie de ces lieux, sortant aussi quelques véritables pièces de sa caisse personnelle. C’est vrai que Kazune n’en avait pas vraiment, encore et toujours trop pauvre pour permettre d’en garder en économie. Il aurait aimé. Au moins pour Zhao qui se montrait aussi méritant. Sans vraiment s’en apercevoir, alors qu’il se plongeait pleinement dans ses pensées, un petit nuage grisâtre était apparu au-dessus de sa tête.
« Hey, ‘Zune, attention à ta tête ! »
Avait lancé un autre marchand, qui connaissait sa condition. Faisant un geste de la main, il signalait qu’un nuage était apparu en même temps que les idées noires du vieil homme. Aussitôt chassées, aussitôt le nuage avait disparu. Rouspétant sur lui-même, le Yoshida s’approchait d’un autre étal, un œil sur son petit-fils qui avait décidé de passer de l’autre côté du comptoir pour découvrir la vie du marchand. Sourire aux lèvres, il saluait un autre.
« T’as reéussi à récupérer les graines que je souhaitais ? »