Le revoilà, ce champ élyséen aux multiples senteurs et couleurs, sa beauté s’imposait au sensible Shosei. Son corps ployait le genou devant un décor si angélique, si gracieux, si divin. Ce n’était que la seconde fois qu’il foulait ses terres, et pourtant, du plus profond de son âme, il aurait juré les connaître depuis toujours. Ce sentiment, bien ancré dans son cœur, était jumelé avec une sérénité sans pareil. Que ce soient les légers cliquetis du courant donnant vie au ruisseau, le chant mélodieux des oiseaux, messagers des dieux, ou encore le doux parfum des fleurs, envoûtant les âmes du fait de sa superbe, tous tempéraient l’esprit torturé de l’érudit. En paix, il contemplait ce jardin d’Eden, peut-être était-il mort ? Était-ce cela l’au-delà auquel certains esprits se raccrochaient ? Il ne pouvait le savoir et au fond, peu importait. Il préférait savourer cet instant de quiétude, plutôt que d’essayer de comprendre, de réfléchir, de savoir. Rares étaient ces moments où Ren préférait succomber aux délices du corps et du ressenti, au détriment du plaisir de la connaissance. Toujours immobile, ses pensées, elles, dansaient avec le vent.
C’est en sentant cette douce brise, lui caresser la joue, que l’homme tatoué réalisa que ses amis, les « murmures du vent » étaient de retour. Peu à peu, les volutes d’air prirent vie et valsèrent dans ce décor onirique, en se teintant de divers pigments à chaque contact avec un être vivant. Ce ballet aérien était magnifique, il faisait frissonner le savant d’émerveillement. Les fils d’Eole semblaient heureux, en pleine forme et surtout, libre. Cela changeait tellement de la vision horrifique qu’avait eu l’archiviste dans la sépulture. Voir les souffles amoindris, prisonniers et muets, fut une véritable épreuve pour lui. Il ne voulait plus les voir ainsi, il souhaitait les protéger et leur permettre de se déchaîner sans crainte. Mais pour le moment, il les admirait et les enviait de son doux regard brun.
Plusieurs minutes passèrent, l’Akemi était resté là, agenouillé, à observer son environnement avec beaucoup de curiosité et de tendresse. Si bien qu’il lui fallut quelques instants de plus pour quitter cette transe contemplative et remarquer que derrière lui, « elles » étaient de retour. Sentant les deux bourrasques qui leur donnait vie, le Kodama se retourna et vit les deux entités qui lui avaient rendu visite il y a quelques temps déjà. L’une noire et l’autre blanche, ces deux tornades à forme humaine se présentaient en toute bienveillance devant leur compagnon de voyage. Elles l’intimèrent de se lever avec un geste tranquille et synchrone, leurs deux mains droites se levant doucement. Comprenant leur volonté, l’homme à la cape s’exécuta, il était ravi de les revoir.
Soudain, un flash jaillit de derrière ces deux typhons élémentaires, l’éclat aveugla quelques instants le mercenaire. Là, lorsque ses yeux retrouvèrent leur capacité, un miracle apparut. « Il » était de retour. L’enthousiasme et la passion entraînèrent le corps de l’érudit. D’instinct, il pencha son corps en avant, prêt à aller rejoindre l’être opalescent. Néanmoins, les deux cyclones vivants interrompirent son élan. Leurs bras tendus, l’un vers l’autre, faisaient barrage à son initiative. Bloqué, devant rester immobile, la frustration gagnait le cœur de l’humain. Pourquoi ne pouvait-il pas rejoindre son allié, son guide ? Pourquoi ces deux manifestations chakratiques lui imposèrent une telle distance ? Comment expliquer cet interdit, comment le justifier ? Perdu, tel enfant ne comprenant pas les règles qu’on lui donnait, Ren avait le regard hagard et l’âme lourde d’incompréhension. Il désirait tant retrouver le Patriarche, et alors qu’il se trouvait à sa portée, des parts de son identité, faisaient obstacles. Néanmoins, il respecta leur volonté et attendit leur prise de parole. Même si durant les minutes qui suivirent, le silence restait toujours la règle, le Cerf lui, commençait à avancer vers le trio. Bientôt, toujours inaccessible, il formait avec les deux entités un triangle équilatéral parfait. A l’unisson, les trois voix se mêlèrent et brisèrent le tabou du son.
- Eveille-toi. Brise tes limites. Embrasse le Chakra. Le triumvirat, que nous formons, te guidera sur cette voie. En équilibre, tu dois nous maintenir. Aucun ne doit être délaissé, tous doivent être renforcés. Pour trouver ton Maître, laisse la puissance te guider. Digne de lui, tu dois être pour le rencontrer. Vents, encre et Sylve, tous les trois forment la clé de ton avenir. Soumets-les. Domine-les. Contrôle-les. Ainsi seulement, ton âme et ton cœur seront prêts à affronter Rakka, ton némésis à présent. N’oublie jamais ton rôle et ton destin, jeune héritier.
Suite à ces mots, à ces conseils, à ses injonctions, les trois formes fusionnèrent. Sans aucun bruit, le cervidé se para d’un manteau fait d’encre et d’air. Une parfaite harmonie se dégageait de ce tableau. Sa signification était limpide, s’imposant presque même au mortel, il ne fallait plus qu’il considère ces énergies de manière séparée, mais plutôt tel un ensemble indissociable. Instinctivement, ses mains se chargèrent en chakra. Sa dextre fut enveloppée par un cyclone à taille réduit, tandis que sa senestre, elle, baignait dans un flot d’encre semblant infini. Ces deux gants si particuliers protégeaient l’afflux de chakra neutre qui circulait dans ses mains. Puis, l’érudit rejoignit ses deux extrémités, après le choc, vint l’association. Les trois types de chakra entrèrent en collision dans un premier temps, toutefois à force de volonté, Ren les soumit et arriva au résultat escompté : un tout en osmose et dont la puissance dépassait les attentes du Shosei.
- A présent, Héritier, conquiert le Temple. Abats les ennemis de ton Maître. Régit le monde en attendant son retour.
Tout à coup, le chakra contenu par le savant explosa. Le souffle crée renversa ce dernier et le propulsa bien loin de son ancien allié. La violence de ce phénomène fut tel, que tous les champs élyséens furent pris de tremblement. Le rêve s’achevait, Ren avait toutes les clefs à présent pour progresser. Dans cette geôle inviolable, il attendait son heure. Il devait sculpter son corps, durcir son mental et maîtriser son destin. Rien ne l’arrêtera, sa volonté est aussi affutée que la lame légendaire, Excalibur. Pour se rassurer, il répéta durant tous ses efforts cet ancien conte transmis de génération en génération.
« Au-delà de l’horizon se trouve la montagne de diamant. Cette montagne a une lieue de hauteur, une lieue de largeur et une lieue de profondeur. Tous les cent ans, un oiseau vient s’y poser, gratte la montagne avec son bec et enlève une parcelle de diamant ; quand il aura de la sorte fait disparaître le mont tout entier, la première seconde de l’éternité sera écoulée. »