C'est lorsque l'on est au pied du mur que l'on se rends compte de l'influence perdue. Un crépitement infernal se dégageait de derrière la porte obscure renfermant la clé de voûte de la ceinture noire. L'odeur porcine qui s'en dégageait ne laissait que très peu de place à l'imagination, un massacre avait été proféré au sein de ces murs, dans l'endroit même qui'il considérais comme sa demeure. Caché sous un sandogasa, ses yeux azurs s'illuminaient d'une flamme intense, tandis qu'il contemplait les vestiges du Kyu San Boryoku... un morceau de tissu s'était laissé porter par le vent jusqu'à ce qu'il ne rencontre en guise d'obstacle, un homme vêtu d'un haori intégral, ne laissant que très peu de peau à découvert, un masque recouvrait le bas de son visage, jusqu'au milieu de son nez. Sous cet accoutrement, il était difficile de poser un nom sur l'homme qui se camouflait volontairement sous une paire d'habit amples, de manière à effacer totalement la moindre parcelle de son visage pouvant être reconnue. Seuls ses yeux et sa longue chevelure noire était apparente.
Alors, l'homme se saisissait du bout de tissu, sur lequel était encore inscrit son nom, un tissu d'un blanc autrefois immaculé, désormais rongé par les flammes. S'il en aurait été capable, il aurait versé une larme, cependant... son rang l'en empêchait, il avait sa propre manière de pleurer ses morts. Une quantité infinie de souvenirs vinrent l'assaillir. Il se souvenait de la fois où il avait emmené Yuugen à l'intérieur de ces lieux, la fois où il lui avait expliqué la valeur de cet établissement, des vies qui le composaient et de son importance au sein du quartier... mais, maintenant tout ça ne signifiais plus rien... si ce n'est l'ultime déclaration de guerre du nouvel homme à la tête de la triade.
Ils avaient troqués un tyran pour un autre, du moins, c'était la pensée qu'il ne cessait d'alimenter. Cependant, il était difficile d'imaginer que quelqu'un comme lui puisse être le genre d'homme qui ne réagirais pas... au contraire, Bo Takeshi venait de réveiller un mal enfoui, enterré sous des montagnes de principes et de codes moraux... Si c'était la guerre qu'il voulait, alors, il allait l'avoir.
La pluie se mit à tomber sur le quartier des épices... les cieux eux mêmes pleuraient la disparition de tant d'âmes innocentes au profit d'une pseudo révolution, d'une vengeance sans queue ni-tête, rythmée par la seule ambition démesurée d'un seul homme, tentant de créer un dominion sur le quartier dans lequel il avait toujours eu son mot à dire. Certes, il n'était pas né ici, certes, il était un Shinryo, certes il représentait tout ce qu'il haïssait chez les nobles; mais ces lieux étaient les siens. Il n'avait aucun souvenir de ses années passées sur la colline Tsukuri, pas avant qu'il ne s'arrache du joug d'un père tyrannique, ne jurant que par la suprématie des liens du sang afin de mener sa propre existence, de se créer son propre destin. Jamais il n'avait daigné se présenter sous son vrai nom, depuis toujours, il était Seijaku de la Ceinture Noire... et jusqu'à la fin de sa vie, il le sera.
Sa main droite vint se plonger à l'intérieur de la poche de son Haori, il en ressortit un bout de tissu plié. D'un violet sombre, sur lequel était brodé avec de fins liens d'or l'insigne du clan "Shinnin" et d'un geste résolu, déterminé... il le lança dans le feu du Kyu San Boryoku. Très vites, les flammes vinrent le grignoter, effaçant à jamais son appartenance à un clan qui ne le représentais plus, auquel il ne voulait plus avoir aucun lien de parenté. Il le renia comme il avait renié sa famille, c'en était fini de cette mascarade... maintenant, il serait celui qui dicterais les règles, celui qui fera en sorte de faire vivre un jour nouveau à son quartier, de le tirer vers le haut... et s'il faut nager dans une mare de sang, alors Seijaku ira en dos crawlé.
Les représailles allaient arriver, et qui que pouvait être ce Bo Takeshi, il n'échapperait pas à la fureur de Seijaku, il venait de signer son acte de décès en s'en prenant volontairement à l'établissement du Shinryo. En s'enfonçant dans la ceinture noire, Seijaku put voir l'expression qui animait le regard des petits gens, tant de malheur les avaient frappés récemment, la confiance ne régnait plus et il ne suffisait que de voir les action des Sbires de Takeshi pour comprendre d'où venait tout leurs maux. Des coups de bâtons perlaient à profusion sur ceux refusant de leur obéir, les tenanciers refusant d'offrir la collation se voyaient eux aussi martyrisés, l'insécurité régnait encore plus que d'habitude, et cela ne pouvait déjà plus durer.
Le cœur serré, il progressa sans rien dire, quand bien même l'envie d'ôter leur existence de la surface de cette terre le démangeait, il savait que pour l'instant, seul, il ne pouvait pas faire grand chose. La boule au ventre, un sentiment qu'il n'avait plus ressenti depuis bien longtemps, il s'enfonçait de plus en plus dans la ceinture noire, là ou maisons et autre bâtiments ne ressemblaient à rien de plus qu'une série de briques empilées afin de constituer d'étranges murs dont l'équilibre était douteux.
Il poussa une porte dissimulée par un petit porche qui la plongeait dans l'ombre de la ruelle, il pénètra dans un lieu humide, avec un bureau rongé par la moisissure... un endroit bien connu de l'Ex-Gyousha, régit par un homme qui, pour rien au monde, ne trahirais sa parole, ni sa volonté... bien qu'il fut accueilli comme à son habitude par un gobelet rempli d'alcool qu'on lui lança en pleine poire.
Il n'eut ni la vivacité, ni la volonté nécessaire pour l'esquiver... ce qui posa un dilemme moral au lanceur qui, troqua son expression colérique, pour un visage plein d'empathie. Budô l'artificier se tenait là, face à Seijaku, triste comme lui, repensant au massacre commis par Takeshi et ses hommes. Se levant de son siège sans un bruit, il vint réconforter le Shinryo, posant une main sur son épaule en signe de compassion et Seijaku lui rendit la pareil, en acquiescant d'un hochement de tête, signe que tout allait bien, malgré tout.
Il prit la parole, d'une voix monocorde. « Budô... je vais encore avoir besoin de toi. » Il ôtait son Haori, et dévoila son nouveau costume noir, à l'image de sa chevelure où le blason du clan Shinnin brodé sur son dos avait été remplacé par les Kanjis 神慮 « Je sais... encore, mais je n'ai pas le choix... le Kyu San Boryoku n'est plus, avec lui ma sphère d'influence... alors, je vais avoir besoin de toi pour transmettre un message. » Le visage de Budô s'écarquilla, mais Seijaku ne lui laissa pas la chance de placer un mot. « Tu vas faire passer un message à tous les élus... dis leur de nous rejoindre ici, chez toi. Dis leur également que c'est Shinryo Seijaku qui les convoques, que désormais... » Il marqua une pause, la suite de ses paroles suscitaient en lui une haine extrême. « Fais leur comprendre à tous, que s'ils ne me rejoignent pas... alors je les détruirais, tout comme j'ai l'intention de détruire Bo Takeshi et son empire, que je comptes anéantir la moindre parcelle de l'influence Shinnin dans le quartier des épices... Oui, Budô... fais leur comprendre que nous sommes en guerre... et qu'ils doivent choisir un camp. »
A la suite de ses paroles, Seijaku vint prendre place dans le fauteuil de Budô, qui lui céda sans rechigner. Conscient que malgré son exil, Seijaku restait celui qui l'avait toujours tiré des mauvais coups, malgré son attitude catastrophique et sa manie de tout faire exploser. Qu'il l'avait couvert dans toutes ses bassesses, qu'au fil du temps... il était l'homme le plus proche de ce qu'il pouvait appeler " Un ami. "
La guerre pour le quartier des épices est sur le point de commencer, tout les élus du clan Shinnin sont convoqués pour faire valoir leur allégeance à la Cité Noire... un refus de présence sera considéré comme une affiliation à Bo Takeshi... et par la même occasion, une offense personnelle. Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous.