▬ T’as compris ce qu’il t’a dit toi ?
▬ Bah nan et toi ?
▬ Bah nan.
▬ Bah mince.
▬ Bah ouais. M I N C E. C’est le cas de le dire.
▬ Il a quel projet en tête selon toi ?
▬ Oh tu sais, ce gothique, on est jamais préparé à ce genre d’idée.
▬ Seiki hein.
▬ Seiki hein.
▬ Oh un calamar volant géant !!!

Je dégaine l’épée légendaire sacrée pourfendeuse de dragon et d’autres colibris. L’épée me parle. Elle a hâte de se battre. Ça fait longtemps, un jour je crois. Bim, je lâche ma meilleure accélération. Je laisse pas le calamar volant réagir, bah ouais, teleportation tout ça, tout ça. ZYAAAAAK. Grand coup d’épée. Mince. Il a esquivé. Oh le filou. Quel mauvais joueur. On a dit que les esquives c’est le mal. Je suis obligé. Il me pousse à sortir ma botte secrète. Je décapsule un flacon avec de la potion mortellement magique. Je crache du feu. Je dégage tellement de flow, grosse aura rouge autour de mon corps. Je pense que je vais appeler ça le ... euh... LE MANTEAU ROUGE DU FEU QUI BRÛLE INCANDESCENT CONTRE LES CALAMAR. Wow. C’est vraiment un nom magique.

Ratatatatatatata. J’envoie une pluie de coup de poings, de pieds, de coudes, de tête, d’épaules, tout ce qui peut le frapper, je le frappe avec. Mais là. Je le laisse même pas réagir. Bah nan, c’est pas drôle sinon. Avant même qu’il m’attaque, j’enfonce mon épée au sol. Gros séisme. Le sol se coupe en deux. Une armée de mini monstre de terre sortent du sol. Ils foncent vers moi. On fusionne pour devenir un titan de roche haut de plusieurs mètres. Grand coup d’épée dans le vide. Le volcan a l’ouest est coupé en deux. J’suis vraiment trop fort. Et la... SURPRISE ! J’pose la main au sol. Et le voilà capturer. C’mon monstre de poche a moi maintenant. J’vais l’appeler Tentacool. Car il est cool et il a des tentacules.

J’suis malin, j’le sais. Merci. Héhé.

▬ On est rrivé ?

J’reviens essouffler vers mon âme-liée. Oh qu’est-ce que j’aime la vie quand il est là. Faut que je lui montre mon nouvel animal de compagnie, mais il va encore me faire une phase d’emo tout bizarre. Ew. Non merci. Sale gothique va. Avec tes cheveux tout gris moche. Gnegnegne. Vers où on marche en plus ? Ça doit faire au moins 76 heures maintenant ! Il a pas voulu me dire. Ou j’ai pas entendu. La chasse au calamar, c’pas facile.

▬ Et mintenint ?

Il a du flow. Nan franchement, il est stylé. Il ressemble pas à l’ange moche là avec son visage tout écraser contre une vite. Tonjon je crois. Il est là. Il a une épée. Il a des cheveux d’une couleur spéciale. Il est scientifique à Kodama. Nan franchement, il est bon. J’suis fier de lui. Mais je le laisserai pas prendre ma place de héros. C’moi le pourfendeur de tous les méchants. C’est la lame qui a décidé. Désolé. Chapo, chapo. Je deviendrai comme lui, nan plus fort encore. J’me demande où on va encore.

▬ Toujours po ?

Oh. Bah tiens. Bah oui. Lui, il doit forcément savoir. Bah ouais, logique, il sait tout. Monsieur gnegnegne je maîtrise la lumière. C’est bien un truc d’élu ça d’avoir du chakra. C’est sooooo an 1. C’est fini ça d’avoir du chakra, maintenant la mode, c’est... euh... Oui donc je disais. Il fait beau aujourd’hui, nan c’est cool. J’assume toujours pas la défaite. C’est grave que les dés m’aient pas aidé à le vaincre. Et puis j’le connais, il sait pas mentir lui ! Bon, cette fois-ci, je vais le battre. J’attends juste qu’il baisse sa garde. Et boom. Je le bats. Nouvelle question.

▬ D’illeurs c’quoi le fuinjutsu ? Enseigne moi !

Le gamin ne manque pas une occasion de rêvasser. À le croire, il serait au cœur du village, du pays, du monde, et de tout ce qui rôde au-delà de la barrière des songes. Mais il n'est qu'un enfant comme les autres. Affublant ma cheville comme le boulet d'un forçat, à en marquer la chair jusqu'au sang. Je ne lui en veux pas. Il n'est ce qu'il est. Insouciant. Ignorant. Un argile malléable sur lequel j'appose mes mains afin de sublimer son existence.

« Quelque chose que tu es incapable de maîtriser. »

Sekigaku Rakka, le Père Fondateur du clan Kodama, en avait fait sa spécialité. Comment Saigo pourrait prétendre à l'apprentissage d'un tel art ? La seule compréhension des Sceaux, du fait de leur nature ambiguë, prendrait des mois. Et je ne suis pas assez patient pour lui délivrer les simples grandes lignes de cette leçon.

« Concentre-toi. Le Théâtre de la Demi-Lune est devant nous. »

Fichu destin. Dès que l'envie me prendre de rester en autarcie, il me rappelle à l'ordre sous la forme d'un gamin hyperactif aux rêves démesurés. Constamment. Sur le fil rouge de contextes plus ridicules les uns des autres. Aujourd'hui, nous avons été invités par la Troupe d'Albâtre afin de participer à un programme de sensibilisation au 6ème art, afin de promouvoir cette sacro-sainte culture du clan Tsukuri au reste du village. Et nous allons en payer les frais. Je me fiche du théâtre. Je me fiche de la politique des clans. Je me fiche de mon affinité artistique. Et pourtant, ce sacrifice doit être mis en lumière. Un double sacrifice, grâce à la présence exceptionnelle de Saigo.

« Tu te souviens de ce que j'ai dit ? Laisse les artistes parler. Ne rentre pas dans leurs jeux. Et surtout, ne rie pas comme un abruti en voyant leurs visages peints en blanc. Ce serait irrespectueux. »

Un monde se tient entre le fil de nos existences et celles des hôtes du Théâtre de la Demi-Lune. Mais chacun doit trouver un sens à sa vie. Ces gens-là ont simplement préféré l'extravagance de l'imagination au réalisme du quotidien. Des modèles pour les uns ; des lâches pour les autres. Et puis, sans prévenir, les rôles s'inversent.

« Yuuichi Reito va nous recevoir. D'après les rumeurs, il est exigeant envers ses comédiens. »

Je dégaine mon arme ultime : ma meilleure mine boudeuse. Je croise mes bras, tourne la tête sur le côté pour ne plus voir son moche visage, gonfle mes joues comme un chat-baudruche. J’imite comme personne l’enfant faisait son caprice. Bla-bla-bla. Je peux pas car c’est trop dur. Ok. Bien. Cette fois ci je ne vais même pas forcer. Je ne vais pas du touuuuut l’harceler toute la journée à ce sujet. Non, cette fois-ci, pour changer, je vais apprendre cette chose moi même. J’irai faucher un rouleau dans la bibliothèque comme tout le monde. Il verra quand je serai devenu le plus puissant utilisateur de Fuinjutsu du pays... Non du monde ! J’vais lui sceller sa mère pour la peine. Qui vivra le dernier rira le premier hein.

Oh. On va au théâtre. C’est trop cool ça. C’est quoi ? Non. J’ai dit plus de question. Je le boude. Tant pis pour lui. Je répondrai à au-cune de ses questions sur la vie. Je le connais, il va venir ramper pour me dire « gne gne gne personne m’aime gne gne gne vie de merde ». Et cette fois-ci je le consolerai même pas. Aller tiens ! Dans tes dents. Mais on va faire quoi au théâtre enfaite ? Ça se mange un théâtre ? Si ça se mange pas c’est pas interessant. Du coup, comme d’habitude, j’écoute pas le reste de ce qu’il me dit car ça doit forcément être du bla-bla-bla d’adulte.

Oh tiens, c’est beau ça. C’est dans ce bâtiment que l’on va rentrer ? Oh mais c’est qu’il y a beaucoup de monde. Tout le monde veut manger du théâtre ou quoi ? Oh je comprends. C’est un nouveau restaurant, c’est ça ? Doit y avoir un buffet à volonté pour attirer autant de monde. Et il doit être vraiment bon vu la tenue de tout le monde. Moi aussi j’veux ressembler à ça. Mais c’est que y’a même des peintures pour illustrer ce qu’il y a l’intérieur. Je rie à gorge déployée en voyant les adultes. Ils sont maquillés sur le mur hihihi. Truc de filles ça. J’espère que je viens pas pour que l’on me maquille. Il a bien de la chance le Seiki que j’sois son meilleur pote pour la vie hein. Sinon bim bam boom.

Un homme sort du théâtre et s’avance vers nous. Il veut quoi avec ses cheveux blancs et sa peau bizarre lui ? On dirait une version plus luxueuse de Seiki. Beurk. Je me range derrière les jambes de mon pote, tout en jetant de nombreux regards tantôt sur le gars et tantôt sur mon valet. C’est vraiment les mêmes. C’est grave. Il parle. J’écoute même pas. Par contre quelle voie aiguë. On dirait un autre grand guerrier. Je place mes mains contre ma bouche, je deviens tout rouge. Les larmes coulent. J’ai envie d’exploser de rire.

Notre présence est vite relevée par les artiste du Théâtre de la Demi-Lune. Toute l'équipe semble être opérationnelle, et prête à nous recevoir. Cette campagne entre les clans est-elle à ce point important à leurs yeux ? Je peine à cerner la logique qui rôde derrière leurs agissements. Ce n'est que du théâtre. Du spectacle. Finissons-en vite.

« Vous devez être Yuiichi Reito.
— Et vous, les profanes qui m'ont été envoyés par l'alliance des trois clans.
— Dites-nous ce qu'il faut faire, qu'on en finisse.
— Ça ne sera pas aussi simple. On ne nait pas artiste. Une armée des ombres se cache derrière tout comédien ; et vous allez devoir rencontrer chaque intervenant avant de monter sur scène.
— Monter sur scène.
— Votre prestation se déroulera à guichets ouverts. Rejoignez le pôle "Habillage" ; vous serez pris en mains par nos collègues tisseurs. Il faudra certainement ré-ajuster certains costumes pour sublimer vos êtres. Un travail d'orfèvre. Nous n'avons ni l'habitude de composer avec un enfant, ni avec un athlète. »

Le maître de céans gravite autour de nous. Il reluque nos galbes comme s'il était en manque d'une précieuse présence masculine. Je ne m'inquiète pas pour Saigo. En revanche...

« Ces muscles feront votre personnage. Une chemise sans manche suffira. »

Je me sens réduit à l'état objet. Que se passe-t-il ? Le gaillard s'arrête devant moi, ses mains jointes derrières son dos. Il me fixe. Me juge. Cherche une punition pour un crime que je n'ai pas commis. Puis, la sentence tombe.

« Tu seras le serviteur de ton camarade, un noble du clan Tsukuri.
— Je n'ai pas l'impression que ce soit...
— Allez vous changer. »

Yuiichi Reito fait demi-tour sans demander son reste. Je reste muet, l'index levé, bouche bée.

Et voilà. ET TOOOOOC. J’ai gagné. Karma. Je suis devenu le patron de mon serviteur, même dans cette histoire. La routourne a tourné. J’ai plus de raison de le bouder. Petit coup de coude contre sa cuisse, je dégaine mon meilleur haussement de sourcils. Je me moque, sans retenue, de mon meilleur pote. J’ai pas fait attention à ce qu’il a dit, mais il reluquait beaucoup mon pote. Bizarre. C’est pas le rôle des femmes d’être amoureuse ? Seiki va devenir enceinte ? Il va donner vie à un petit garçon ? J’espère que ce sera une fille comme ça je vais pouvoir me moquer de lui et la battre.

▬ Il t’ime j’crois. Bien joué serviteur. Hihi. Tu m’expliques ce que l’on doit fire ? J’po compris.

Tout en reprenant la confiance, je tire la manche de mon esclave en direction du théâtre. À chaque passage, à chaque client croisé, j’implose de rire intérieurement. Non vraiment, quelle idée de se déguiser comme ça. Plusieurs adultes chelous nous guident vers la maison des travailleurs. Pfouah. Ça pue le parfum. Enfin ça c’est bizarre. Ça change trop du goût de vomis omniprésent de la ceinture noire. On dirait que je respire des fleurs. C’n’importe quoi. Quelle idée.

Eh... mais y’a beaucoup de femmes ici. Je rougis et me réfugie avec fulgurance derrière la jambe de Seiki. Faut qu’il me protège. J’suis t-timide. Attends. Mais... Tengen ? Ah non. C’est juste des garçons maquillés en femme. Ils ont les lèvres rouges, les sourcils noirs, les joues roses et le visage tout blanc. Puis y’a ces cheveux moches. Bruh. Je jette un regard inquiet à mon allié. Le genre de ceux qui veulent dire : On-on doit vraiment faire ça ? Quelqu’un nous pousse légèrement en avant. J’me retourne, je contracte mon poing et...

« Vous êtes les élus de la pièce d’aujourd’hui ? Oui, oui, ça ne peut être que ça. Cessez de faire les timides, vous devez passer au maquillage. Vous aurez la possibilité de demander de modifier le peinturage classique. J’espère que vous avez appris le script ! La pièce débute ce soir, profitez en, c’est une soirée unique. Notre fête annuelle ! »

J’ai rien compris. Pourquoi ce monsieur a la voix d’une femme ? C’est étrange. On me tire la main, woooh. Un garçon m’attire sur un siège. Il va me torturer c’est ça ? Merde. J’suis trop jeune. J’suis trop mignon. J’peux pas mourir ici.