Apprendre pour mieux transmettre
1. Le retour tant attendu.
Être loyal à un clan et à sa direction demande un lourd tribut. Ne jamais poser de questions, ne jamais remettre en doute la parole gouvernementale et surtout, obéir aveuglément aux désirs de la Triade. Même si dans les faits, l’ancien Triumvirat n’était plus, un homme luttait courageusement pour maintenir l’ordre et la grandeur des Shinnins, Bô Takeshi. Malgré ses actes violents et mémorables, il restait pour le Miyazaki encore timoré et n’osait pas aller aux bouts des choses. Parfois, il fallait vraiment se salir les mains et ne pas seulement tremper les doigts avec timidité. Peut-être que la morale du commerçant était trop infernale, trop cruelle… La mort était pour lui un présent, une marque de respect et une solution comme une autre, banale et mobilisable. Malgré ce petit reproche, « Pride » était fidèle à son nouveau maître. C’est pourquoi, le prêtre mettait un point d’honneur à conjuguer sa foi, son rôle de Grand Prêtre et sa confiance en ce nouveau Chef ayant déjà fait ses preuves dans ce monde chaotique. Cette exigence avait été élevée comme principe de vie dans l’esprit du bel homme.
Néanmoins, les temps étaient rudes. Depuis la création de cette Cité Noire, le chiffre d’affaires du « Tenbu Hôrin » (litt. Le Trésor du Ciel) subissait quelques soubresauts et un ralentissement notoire. Aucune faillite à l’horizon, toutefois ce risque hantait l’esprit du quarantenaire. En vérité, ce n’était pas tant la mise en quarantaine de la Ceinture, en elle-même, qui impactait le commerce, mais plutôt le climat tendu dû à cette épidémie et l’envoie de quelques clients fidèles dans cet espace lointain. En effet, la première cause était cette atmosphère pesante, emplie de craintes, d’inquiétudes et d’anticipations négatives. Bien qu’étant une clientèle aisée, issue majoritairement de la Panacée, les commerçants, les entrepreneurs, les hommes de pouvoir fréquentant habituellement la taverne, se montraient particulièrement prudents, économes et limitaient leurs sorties dans cet antre du vice. Cette tempérance était compréhensible, mais pour le chevalier de l’orgueil, il fallait absolument endiguer ce mouvement de repli. Car si rien n’était fait, bientôt, tout le Quartier des Épices serait à l’arrêt. Enfin, la seconde source de tumultes pour la vente d’alcool et de mets du commerce, résidait dans la paranoïa. A la disparition de certains piliers de bars, à l’écoute des rumeurs de contaminations, certains ont pris peur. Et si ce lieu de débauche et de plaisirs était dangereux ? N’ayant aucune connaissance dans le domaine des maladies, le Miyazaki attendait les directives de la Triade avec impatience. C’était la seule autorité reconnue ayant les compétences et les savoirs nécessaires pour protéger les habitants de la Rosée du matin.
Heureusement, la grâce vint bientôt récompenser l’attente bienveillante de l’homme aux cheveux blancs. Tandis qu’il s’occupait à espionner ses rares clients et à imaginer mille malices pour étendre la Secte, l’espérance surgit avec fracas dans l’humble bâtisse. Un homme, un habitué, fils d’une riche famille qui, entre deux cuites, errait dans les rues à la recherche de ragots. En hurlant ainsi, à l’entrée du bar, il ramena brutalement les êtres frivoles, à l’esprit embrumé par les vices, à la réalité. Le message était clair, « ils » étaient de retour. Un soulagement collectif résonna dans toute la pièce. Enfin, tout ceci allait prendre fin. Shun était convaincu qu’avec cette annonce, le Quartier renaîtrait de ses cendres, enorgueilli et confiant en l’avenir. Hanatarô, tel était son prénom, colportait alors tous les détails, tout ce qu’il avait entendu et constaté, l’ensemble de l’audience était partagé entre doute et joie. Était-ce le moment de prendre sa revanche sur ce fameux « Mal Noir » ?
Pour le gérant, il était évident que cette aide, cette brigade « Kai » allait bouleverser les pensées et les pratiques du Quartier des Épices. Au vu des dires du simplet, tout risque de contamination était quasi nul. Une telle nouvelle allait soulager de nombreuses âmes et allait redonner un souffle de vie au « Tenbu Hôrin » et aux autres établissements. Rassurés, les clients reviendront, cette certitude fit sourire le Shinnin. Bientôt, cette période de vaches maigres allait prendre fin. De plus, le retour des Kodamas rusés et des puissants Shinnin marquait une nouvelle ère : un élu pouvait, s’il en avait les prédispositions, apprendre à détecter cette malédiction auprès d’un Justicier. Cette opportunité était une aubaine pour l’homme à la peau mate. Si ces ressources s’étaient retrouvées amoindries, il pouvait à présent diversifier ses activités pour combler le manque. Faire de son commerce un lieu dédié au dépistage et à la formation, était une idée qui le charma immédiatement. Il n’était pas question de concurrencer la gratuité et la bonne volonté des émissaires des dirigeants, mais plutôt de développer une frange parallèle, sûrement payante, et qui permettrait à tous de se rassurer et de fréquenter une taverne prête à « la croisade contre le Mal Noir ».
- Mes amis ! Moi, Miyazaki Shun, votre humble serviteur et votre compagnon de toujours, jure de me former, d’apprendre à démasquer ce mal qui ronge nos terres, de vous protéger de son influence néfaste. Prévenez vos proches, le « Tenbu Hôrin » sera bientôt une terre sacrée. Où tout individu inquiet, voulant connaître son état de façon sûre, trouvera refuge. Mais aussi, ces portes seront ouvertes à ceux voulant maîtriser cette capacité obscure, je partagerai mon savoir avec plaisir.
Une fois ces ambitions annoncées, « pride » chargea Suzi de prendre la relève. Avec ses formes et son caractère bien trempé, elle était une employée idéale. Comptant sur sa poigne et son charisme pour booster les ventes, le prêtre était certain que son bébé était entre de bonnes-mains. Cependant, pour marquer l’instant et redorer son image de propriétaire généreux et à l’écoute, il actionna un levier vieux comme le monde, mais qui séduisait les plus sots.
- Suzi, sonne la cloche. Tournée générale, mes camarades ! Et surtout, pendant trente minutes, toutes boissons et tous mets sont à moitié prix. Faites-vous plaisir ! C’est la maison qui régale !
Dans une ferveur devenue rare, ces temps-ci, le patron quitta son établissement sous les clameurs et les applaudissements. Il en fallait peu pour satisfaire ses clients, il les connaissait si bien… Toutefois, l’heure n’était pas à l’autocongratulation, Shun devait trouver l’un de ses Justiciers.