« ad vitam æternam »
Le soleil sort lentement de sa léthargie. Les premières lueurs rasent le sommet des pins qui bordent le village. Un rayon vient délicatement caresser le visage de Kishi. Sa chaleur est douce et agréable, il ferme les yeux pour profiter de ce moment de calme. Cette subtile lumière vient progressivement lui envahir la moitié du visage l'obligeant à rouvrir doucement les yeux s'il ne veut pas être ébloui. Il est tôt. Mais il est déjà debout. Habillé dans son plus simple appareil, il passe un linge humidifié sur sa nouvelle armure. L'ancienne ayant subi quelques complications lors de l'affrontement avec le tigre, il se devait de la changer. Faire partie du clan Tsukuri était assez avantageux pour ce genre de changement. Un petit tour chez le forgeron d'à côté et vous voilà équiper comme un demi-Dieu.
Tandis qu'il termine de nettoyer les liens en cuirs qui permette d'ajuster la taille de l'armure si besoin, il se met à penser à la suite de sa journée. Il avait prévu de passer à la porte d'Or pour se recueillir. Trop de monde était mort et pour quelle raison ? Une subite lubie de l'Invaincu de lancer des hordes de créature sur la ville. Il soupire. Probablement que le Destin en avait décidé ainsi et qu'il était impossible de l'éviter. Il chasse ces pensées néfastes de son esprit en se secouant sa tête. Du coin de l'œil il regarde la fleur qu'il a prévu de déposer, une rose blanche. Symbolisant la pureté des personnes qui sont partie bien trop tôt. Il revêt son armure. Il fait quelques mouvements de moulinet avec ses bras pour voir si la coupe lui convient. Elle lui va comme un gant. Il prend une grande inspiration pour se donner du courage puis s'en va vers les fameuses portes d'Or.
En chemin il s'arrête chez un artiste Tsukuri. L'homme est lui aussi déjà debout. Rien d'anormal, Kishi lui a demandé de sculpter un marbre avec les noms de toutes les victimes de cette tragédie. Il récupère sa commande, remercie l'artiste et reprend sa route. Ce mémorial, il ne l'a pas payé, il a été généreusement offert par l'artiste lui-même qui a perdu un proche lors des combats. Un geste que Kishi ne pourra pas oublier. Il porte l'objet à deux mains, l'obligeant à tenir sa fleur entre les lèvres tel un Don Juan.
Lorsqu'il arrive sur place, un silence de mort résonne. Malgré ça, il se voit encore entendre les échos des cris de terreur qu'avait pu prononcer ses anciens camarades. Le lieu est désert, les commerçants et autres badauds ne sont pas encore de la partie. Cela change rapidement. A peine arriver, un premier lève tôt vient à son tour ouvrir son échoppe. Kishi le salut d'un air taciturne inhabituel puis se poste devant l'endroit où il souhaitait poser sa tablette de marbre qui commençait à peser son poids. Plusieurs bouquets sont déjà présents sur ledit endroit rendant ainsi hommages aux guerriers ayant fièrement combattu. Quelques notes sont disséminées çà et là. Des mots de la famille, d'amis, d'amants. Certaines lettres sont cachetées. Un moyen de faire le deuil en couchant ses joies et ses regrets envers la personne ayant trépassé mais trop personnel pour être lu de tous.
Le blondinet dépose délicatement la tablette. Un petit socle lui permet de tenir droite sans qu'elle ne chancelle. Il se met en Seiza et dépose sa fleur. Ses mains se mette calmement sur ses genoux. Il marmonne des paroles dans sa barbe. Il reparle de la fois où Kaori avait parlé de ses ébats avec sa femme à la caserne le temps de midi. Ce qu'il ne savait c'est qu'elle était discrètement venue derrière pour lui faire une surprise. 'Tu aurais dû voir ta tête…' lâcha-t-il dans un ton nostalgique. Il eut un léger rire nerveux. Son rire se mua en des larmes qui perlèrent le long de ses joues. Kishi essuya son visage puis embrassa le bout de ses doigts avant de déposer son baiser sur le mémorial.
"Au revoir mon ami."
Il se releva et voulu s'en aller mais il senti une présence. Une autre personne était derrière lui pour se recueillir. Une dame âgée. Ils restèrent là en silence. Côte à côte.
"C'est une belle pierre…" lâcha la vieille dame, brisant le lourd silence.
"Oui…Je l'ai demandé au sculpteur du clan. Il a fait du beau travail…" Répondit le blondinet sobrement.
"Vous avez perdu quelqu'un de cher à votre cœur ?..."
Question rhétorique mais Kishi sentait que la vieille dame avait besoin de parler.
"J'en ai perdu bien trop ce jour-là…Et vous ?"
Les deux restèrent silencieux encore quelques instants avant que la personne âgée reprenne.
"Il aurait eu cinquante ans aujourd'hui…Une mère ne devrait pas avoir à enterrer ses enfants…ce n'est pas dans l'ordre des choses…" Dit la vieille dame d'une voix chargée d'émotions.
Kishi resta silencieux. Il ne savait jamais vraiment comment réagir dans cette situation. La vieille dame renifla quelques instants avant de fondre en larme. D'un geste doux, il déposa sa main sur son épaule. Elle l'enlaça, se blottissant contre lui comme si elle étreignait pour la dernière fois son fils disparu.
"Pourquoi ?…Dites le moi. Pourquoi nous a t-il fait ça ?..." Dit-elle en sanglot.
Elle parlait bien évidemment de l'Invaincu. Kishi ne pouvait pas lui dire la vérité. Lui dire qu'il avait fait ça pour tester le village et peut-être se divertir. Cela mettrait le dernier coup de poignard à cette femme. Il menti.
"Je ne sais pas…Je ne sais…Vraiment pas." Dit-il d'un ton bienveillant.
Il cherchait à calmer la vieille dame. Elle sécha ses larmes et arrêta de renifler avant de relâcher son étreinte de Kishi.
"Merci de m'avoir réconforté…Comment vous appelez vous ?..."
"Kishi…Tomohiro Kishi, du clan Tsukuri madame."
Très vite, il y eu une autre personne, puis une autre, et une autre. Les personnes souhaitant acheter une bricole à l'échoppe d'à côté passait également pour déposer une fleur ou un mot mais cette fois-ci il restait. Regardant avec attention le mémorial qui avait été déposé. Chacun cherchant le nom de l'être aimé et ayant subitement les larmes aux yeux lorsqu'il le trouvait enfin. Elle regarda les gens s'agglutiné vers le mémorial. Tout était toutefois très ordonné. Les gens gardaient une certaine distance d'intimité et restait silencieux, attendant sagement leurs tours pour déposer leurs offrandes.
"Vous êtes un homme bon Kishi. Ce mémorial…C'est ce qu'ils désiraient le plus au monde en ces temps de deuil. Un lieu pour se recueillir et que le nom de leurs amours ne soit pas oublié…Merci…" Dit-elle en lui mettant la main sur la joue.
"Ils ont donné leurs vies pour nous protéger. Leurs noms ne doivent pas tomber dans l'oubli…Ne soyons pas tristes de les avoirs perdu…Soyons plutôt content de les avoir connu…"
"C'est une belle manière d'accepter le deuil…Je tacherais d'essayer…En attendant, je pense que ces personnes ont le droit de savoir qui s'est dévoué pour rendre un ultime hommage à nos combattants." Dit-elle avec un léger sourire.
"Ils ne sont pas obligé de le savoir…Mais si vous y tenez tant…Dites leurs simplement que ce sont les Tsukuri. Je n'ai pas à recevoir tout le mérite. C'est à l'artiste Tsukuri que cela revient."
"Alors je me conteterais de vanter les mérites des Tsukuri."
"C'est gentil à vous…Je dois vous laisser, le seigneur Rakuen n'aime pas que l'on soit en retard."
"Au revoir Kishi…"
"Au revoir Madame…"