Les choses sérieuses commençaient.

Les quelques menus services que j’avais eu à rendre par-ci par-là n’avaient rien de bien complexes - il faut dire que j’avais peu de compétences utiles à mon clan. Cette fois cependant, les choses allaient être différentes. Je n’avais pas encore eu tous les détails, mais l’Atelier avait été volé. Et même si je ne me sentais pas particulièrement concernée, la nouvelle avait eu l’air de plutôt contrarier mon petit balafré - une raison suffisante pour m’investir à cent pour cent dans l’enquête.

Il était déjà sur place, puisqu’il y travaillait régulièrement. La nouvelle avait mis un peu plus de temps à atteindre l’orphelinat mais je n’avais pas traîné pour le rejoindre. Si je connaissais assez peu les pontes qui géraient notre groupe, j’étais parfaitement consciente du fait que le choix de l’équipe d’enquête n’avait rien d’anodin : c’était un test. Et il y allait avoir de la bagarre.

~

Le briefing avait été rapide, tant mieux. Mon coeur accélérait déjà à l’idée de distribuer des beignes - j’étais définitivement droguée à cette adrénaline. Pense aux enfants, Mirai. Pense aux enfants. Je calmais rapidement mon excitation, trahie par mes doigts pris de quelques soubresauts.

- “ Je pense que l’on va régler ça très efficacement mon petit Haru. ”

Un réflexe me fit remettre en place mon gantelet - toujours vérifier que les attaches sont solides et stables avant de frapper.

- “ Tu as une idée de personne à aller voir en premier lieu pour récupérer quelques informations ou je dois contacter ma famille ? ”

Ma famille, oui. Ce n’était pas un secret pour Sadaharu : si pour ma part, je me tenais à carreau depuis mon entrée dans le clan et je m’assurais que les petits à ma charge en fassent autant, ce n’était pas le cas de tous ceux de mon âge, et des plus vieux… Quoi, vous pensiez que j’étais la première et la plus vieille de ma troupe ? Quatorze, c’est uniquement ceux qui ont encore besoin de l’abri des murs de l’orphelinat. Et d’une mère d’adoption.

Je comptais me plier à la décision de Sadaharu, ce que ne m’empêcha pas d’être ravie qu’il accepte implicitement mon offre. Il était bien plus impliqué et installé que moi dans le clan, à qui les rouages du système en place échappaient complètement - je n’étais qu’une brute, un second couteau. Son aval me paraissait indispensable avant d’agir, ma façon de faire avait bien trop de chance de provoquer un drame.

- “ Aussi discrets que peuvent l’être des enfants de la Ceinture. Se faire oublier, c’est une seconde nature chez nous. ”

Même si je ne me pensais pas capable de repérer grand-chose de notable, je m’apprêtais à consentir à la proposition du Balafré de commencer par enquêter sur place - quand une tête inconnue se décida à faire irruption.

Louche.

Je ne l’aimais pas, ce chercheur. Mon poing commença d’office à me démanger, ma mâchoire fêlée s’étirant pour dessiner un rictus agressif. Je l’aurais sans doute frappé d’entrée de jeu si la hiérarchie me le permettait - je savais d’instinct que ce n’était pas le cas. Mon incompétence assumée dans le domaine me poussa à laisser mon cadet prendre une fois encore les devants.

Louche.

Ce savant était beaucoup trop suspect. Je comptais bien faire part de mon opinion à mon partenaire dès que nous serions isolés - il était impératif d’en apprendre plus sur le contenu de ce carnet. Je le savais curieux aussi mais s’il refusait, impossible de protester. Lire, écrire… Des arts hors de la portée d’une modeste orpheline de la Ceinture.

- “ On va faire tout notre possible pour le retrouver, ce carnet, comptez sur nous. D’ailleurs, plus vite on s’y met, plus vite on mettra la main dessus, pas vrai Haru ? Direction la serre ! ”

Alors que je me retournais déjà pour me rendre sur les lieux, une pensée à voix haute échappa à mes lèvres - de quoi rassurer le scientifique en traduisant mon incapacité à trahir son savoir interdit.

- “ Dis Haru… Ça ressemble à quoi un T et un K ? ”

Je n’avais pas honte de mon ignorance, surtout avec lui.

Une épée sans manche, j’arrivais à visualiser. Le K en revanche me paraissait beaucoup plus obscur, même si je me sentais capable de reconnaître la lettre d’après le signe tracé dans la paume du Balafré. Je décidais cependant de ne pas me tracasser plus, d’autant qu’Haru avait l’air sûr de lui quant à sa capacité à faire cette partie là de notre travail. Je ne me put m’empêcher de le gratifier d’un sourire sincère, il avait l’air si enjoué par ses progrès que ça en était touchant - et je ne pouvais nier que j’étais plutôt fier de lui.

- “Bientôt, tu auras tout ce qu’il faut pour être un grand scientifique.”

Un clin d’oeil venant du coeur, un petit moment de complicité que le chercheur ne tarda pas à briser sans une once de remords. Si Haru avait réussi à me faire redescendre en pression, cet ahuri était l’autre penchant de la balance. Mes muscles se tendirent - une courte introspection me fut obligatoire pour retenir mon poing. Putain de hiérarchie ! Lui éclater quelques dents me démangeait.

Un autre pic de pression nous fit frôler la catastrophe, il osait en plus nous prendre de haut ? Le regard du Balafré m’indiqua qu’il savait. J’allais fracasser l’autre clown ! Pourtant, son intervention fut une nouvelle fois suffisante. Mais ce fut cette fois son humour noir qui fit mouche. Cela dit, je songeais vraiment à le brûler, ce foutu cahier...

- “Bonne idée Haru, partons d’ici avant que je fasse quelque chose de regrettable. Tentons notre chance avec le receleur, si on ne trouve rien, on fera un saut par chez moi…”

J’avais hâte aussi, il me fallait un exutoire et malheureusement pour les bandits, ils étaient la seule cible de ma frustration à pouvoir subir mon courroux sans conséquences dramatiques - dommage !

L’avantage de se balader avec mon compère, c’est que nous connaissions le quartier des épices comme notre poche. Et même si je ne voyais pas exactement à quel receleur il faisait allusion - c’est qu’il y en avait quelques centaines, le chemin le plus direct pour nous rendre dans les ruelles sinueuses nous était instinctif. Côte à côte, alors que je tentais de digérer la rencontre avec notre irritant commanditaire, nous parcourions comme un seul homme un enchaînement de croisements plutôt mal famés.

À partir d’un certain point cependant, je préférais le laisser ouvrir la marche. Si nous perdre ici était impensable, le temps nous était particulièrement précieux pour cette mission.

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