J’étais insensible au charme de ces ruelles que j’avais vu des milliers de fois et même si j’ignorais notre exacte destination, tous les chemins que nous empruntions m’étaient familiers - de la crasse, dans le coeur des hommes comme sur les chemins boueux. Oh, il y en avait bien qui faisaient simplement leur possible pour vivre - ou survivre… J’avais été de ceux-là. À ma façon, j‘avais été un rouage de cette immense machinerie, chaos orchestré par un clan, conséquence de la seule bêtise humaine.

Le Balafré m’ouvrait toujours la voie et si j’avais parfaitement confiance en son sens de l’orientation, le passage d’une tenture m’avait alerté : nous entrions dans un “quartier” précis, un coin bien moins fréquenté - peu de passage, moins d’yeux indiscrets… Donc plus de magouilles. Haru confirma rapidement mon sentiment : nous étions arrivés.

Puisqu’il ne semblait guère savoir exactement où nous devions nous rendre, il ne nous restait plus qu’à laisser jouer notre chance - et nous en avions. À peine un vingtaine de secondes après notre arrivée, un passant croisa notre chemin, s’excusant après un contact entre son épaule et la mienne. Était-ce sa voix qui avait fait réagir mon compagnon ou venait-il de réaliser que c’était notre cible qui m’avait percuté ? Le quartier n’avait pas une foule de portes d’entrées et de sorties mais le destin nous avait eu particulièrement à la bonne.

Mon bras se tendit avait violence quand la réaction d’Haru m’alerta - déclenchant un début de course du receleur, qui avait dû le reconnaître en retour. Il connaissait sans doute la nouvelle position sociale du Balafré et s’il courait, c’est qu’il avait quelque chose à cacher… Ma main se referma sur une étoffe : sa chemise. Mon poing libre, fermé, partit à l’aveugle alors que je retournais d’un bloc, espérant rencontrer quelque chose. Bingo, ce fut une joue.

Interception réussie, merci citoyen pour ta bienveillante coopération. Et désolé pour le futur hématome.

- “J’ai beau pratiquer un peu moins en conditions réelles, j’ai rien perdu de mon direct on dirait.”

Je me sentais déjà bien mieux. À défaut d’avoir pu fracasser le scientifique, je m’étais vengée sur le receleur - je ne craignais pas vraiment de représailles pour plus tard : à moins d’être sûre de pouvoir la tuer ou d’avoir le bras très long, personne ne s’en prenait à une tigresse enragée. Ce que je n’avais en revanche pas prévu dans ma hâte, c’est que nous étions dans le fief du type en train de baver par terre… Et que ma petite initiative n’avait pas échappée à ses gorilles. Haru ne tarda pas à me l’indiquer - parfait, je n’étais encore qu’à l’échauffement.

Mon partenaire tenta de raisonner les deux brutes, probablement par acquis de conscience. Son épée dégainée aurait dû mettre la puce à l’oreille de ces imbéciles - nous étions dangereux. “Étriper”. “Plus encore”. “La mignonne est à moi”. Tant de mots clés qui venaient d’être braillés en guise de menace. Idiots… Dans ces ruelles crasseuses, j’étais la prédatrice alpha. Ma mâchoire commença à me lancer, comme souvent lorsque je me prenais à la contracter avec un peu trop de hargne - cicatrice invisible aimant rappeler à ma mémoire les risques de m’engager dans des combats hors de ma portée. Mais celui lui ne l’était pas.

- “C’est pour moi Haru, ne va pas salir ta lame. Si la garde doit nous tomber dessus à un moment, il vaut mieux éviter que ton épée soit pleine de sang.”

Comme souvent lorsque mes adversaires étaient incapable de me reconnaître, j’avais l’effet de surprise : désarmée et pourvue d’une mince carrure, je n’inspirais pas vraiment un sentiment de danger à ceux incapables de lire entre les lignes.

Ma charge brisa la distance me séparant de celui qui était le plus enjoué à l’idée d’entamer un corps à corps avec moi. Te voilà servi mon grand. Mon poing remonta jusqu’à sa mâchoire, les poils de mon bras se hérissant alors que le chakra parcourait mes veines - me laissant une curieuse sensation d’engourdissement qui cessa brutalement alors que l’explosion annonçait l’impact. Difficile d’estimer les dégâts mais j’étais sûre d’une chose : la brute n’allait pas se relever dans la seconde - et bouffer de la soupe pendant quelques jours, au mieux.

L’avantage du bruit et de l’onde que dégage un pareil choc, en plus des dégâts infligés aux tympans, à la peau et aux os, c’est la surprise que cela a tendance à créer chez les non initiés. Mon second adversaire resta interdit un court instant, plongé dans une incompréhension totale. Oui, ton copain est en train de sucrer les fraises. Et tu vas le rejoindre.

Ma jambe arrière se contracta pour accueillir la totalitée de mon poids, permettant à sa jumelle de produire un simple et efficace arc de cercle qui planta mon talon dans le flanc de l'enfoiré. Nouvelle explosion. Mon torse vira avec violence pour propulser mon pied d’appui dans une vrille rapide - mon tibia heurta la tempe de ma proie, achevant de la catapulter contre le mur. Petit tour sur moi même, quelques pas pour rétablir mon équilibre.

Deux coups de feu venaient d’être tirés dans le quartier. Escarmouche terminée.

En avant. J’avais atomisé les molosses du receleur - il fallait assumer maintenant et porter ces tas de graisse et de muscles dans une baraque proche pour discuter au calme avec leur petit chef. Je n’avais pas fait dans la dentelle, comme à mon habitude. Heureusement, Haru était habitué à mes méthodes - ne se feignant même pas du moindre commentaire. Sans hésiter, il composait avec mes réflexes brutaux.

- “Ça me va.”

Répartition logique des tâches. Mon regard s’efforça de trouver de quoi installer un peu plus confortable notre nouvel ami : une vieille chaise, voilà qui ferait l’affaire. Installant le meuble branlant contre un mur en bois pour soulager l’antiquité, je levais sans trop de peine le corps du roi sans couronne pour l’installer sur son nouveau trône, aussi confortablement que possible. À défaut de corde, mes muscles gonflés par les récents efforts déchirèrent un drap qui trainait au sol. Deux noeuds simples et bien serrés, notre receleur était fin prêt. Il ne restait plus qu’à le cuisiner un peu.

- “Haru, il a nom notre ami ?”

Appuyant mes fesses sur mes talons pour permettre à notre prisonnier d’apercevoir mon plus beau sourire à son réveil - un piètre baume pour oublier sa pommette meurtrie, je lui tapotais avec douceur sa joue valide.

- “On redescend sur terre.”

Je me laissais aller à un soupir. Notre receleur ne semblait pas vouloir se réveiller et de son côté, Haru venait de m’ignorer magistralement. Il devait probablement être concentré sur sa lecture, n’étant pas encore parfaitement à l’aise dans ce domaine. Curieuse, je décidais de m’approcher de lui.

- “Alors, tu trouve quelque chose ou tu m’ignore juste pour le plaisir ?”

Je me glissais derrière lui, déposant mon menton sur le haut de son crâne et mes coudes, sur ses épaules. Mes yeux glissèrent sur la page : des lignes pleines de petits symboles qui ressemblaient à des lettres, voilà à peu près tout ce que mon esprit était capable d'interpréter de tout ça. Haru, lui, était en pleine séance de déchiffrage.

- “C’est le bouquin du scientifique ?”

Mon niveau étant toujours aussi médiocre, j’étais déjà à peine capable de me souvenir des deux lettres sur la couverture.

- “Une épée sans manche et Kokoro.”

La dernière phrase était plutôt pour moi, je n’étais pas capable de voir la couverture du livre depuis ma position en hauteur - complètement dépendante de mon ami pour la suite des opérations. Un gémissement de douleur plaintif révéla que notre hôte s’éveillait doucement.

Tout commençait à s’éclaircir petit à petit - mais il restait encore trop de zones d’ombre. Hochant la tête pour indiquer que j’avais bien les informations, je m’élançais à la suite de mon ami pour rejoindre le receleur en plein réveil. Qui pouvait bien avoir besoin d’autant de fer…? Dans mes pensées, à la recherche d’une réponse, je n’avais cependant pas manqué l’appel du regard d’Haru - qui avait su me faire passer son message. Ma main claqua alors distraitement la joue de notre hôte pour l’encourager à coopérer - ce qu’il fit bien plus facilement que je ne l’avais prévu.

C’était presque trop simple. Une nouvelle claque pour la forme - et pour le manque de politesse. Je me dirigeais alors vers le bureau, fouillant le tiroir indiqué pour y récupérer le livre, facilement reconnaissable. Brandissant avec triomphe la trouvaille, je m’affairais rapidement à vérifier sur la couverture les initiales tout en hochant la tête.

- “Ça a l’air d’être ça… Où sont les pense-bête ?”

Il coopéra encore - un gain de temps. Comptant le nombre de pages manquantes, je prenais le temps de les récupérer en vérifiant qu’elles correspondent bien à la partie restante encore accrochée au livre.

- “C’est bon on a ce qu’il nous faut, on peut rentrer.”

Mais avant…

Un violent coup de pied en plein torse renversa la chaise et le receleur. Ma semelle se déposa avec douceur sur son cou - mon regard braqué dans le sien.

- “La prochaine fois qu’un truc manque à l’Atelier, on sait où chercher. Je te recommande fortement de dire à tes gars d’éviter le coin. Que ce soit bien clair, si on doit revenir une seconde fois - on s’assurera de ne pas avoir à le faire une troisième fois. Ce sera pour régler définitivement le problème, c’est compris ?”

Question rhétorique, il ne pouvait pas me répondre avec sa trachée compressée. D’ailleurs, une odeur d’urine ne tarda pas à nous agresser les narines - bien, le message était passé.

Mon regard guetta la réaction d’Haru et d’un petit signe de tête, je lui indiquais que j’étais prête à partir. Une question me brûlait encore les lèvres : qui avait besoin d’autant de fer et pourquoi ? Il fallait que j’en discute avec lui sur le chemin du retour - et que nous prévenions nos supérieurs. Si ce n’était pas pour équiper une armée, je ne voyais guère l’intérêt de rassembler autant de métal… Et ça ne présageait rien de bon.

J’étais contente que Haru partage mon sentiment. Quelque chose de plus gros se tramait mais nous manquions d’informations, de vision d’ensemble et d’autorité pour démêler tout ça. Transmettre nos inquiétudes était le mieux que nous pouvions faire - et je comptais sur mon partenaire pour être notre voix auprès des dirigeants.

Le voyage de retour se fit sans peine : une affaire rondement menée. J’espérais que nous avions fait les bons choix au cours de cette aventure. Dans le cas contraire, la récompense saurait m’aider à oublier mon efficacité.

A notre arrivé, mon petit frère préféra en premier lieu nous débarrasser de toutes les bricoles que nous avions pu récupérer. Puis, retrouver le scientifique fut un jeu d’enfant. Je ne m’attendais pas à ce que mon camarade me confie le livre, mais je réussi à le réceptionner contre ma poitrine.

Il me laissait le choix, c’est pour ça qu’il m’avait confié l’objet de notre mission. Notre employeur me dégoutait au plus haut point. Donc, tous ces travaux, ce n’était que pour ça ? S’enrichir ? Lèvres pincées, je ne pouvais m’empêcher de le toiser avec un dégoût marqué. Au moins, il avait parlé d’un empire - quelque chose de plus que nous pourrions confier à nos dirigeants. Si Haru semblait surpris par cet histoire de plomb, j’ignorais complètement quelle était la rareté de ce métal.

Je jetais le précieux carnet à son propriétaire, priant pour que le receleur ait raison et que tout cela ne mène à rien. Une pure perte de temps qui ruinerait la réputation de cet égoïste. D’un ton mauvais, je ne pus m’empêcher de lui dire :

- “Quand tout le monde crèvera de faim parce que les travaux de gens comme vous auront été guidés par l’avidité plutôt que par l’altruisme et le bien commun, j’espère que vos recherches nous rendrons au moins capable de digérer le métal. On en aura besoin.”

Je me sentais mieux, libérée d’un poids. Glissant ma main autour du cou de mon partenaire pour le conduire hors de la pièce - laissant ainsi notre employeur du jour à son incrédulité puis à ses jurons, je l’entrainais avec moi faire un rapport et récupérer notre paye.

Une fois chose faite, nous allions pouvoir fêter notre réussite autour d’un saké à peine potable et de bières coupées à l’eau. Oui, il fallait bien plus d’une mission réussi pour sortir de la pauvreté. Et chaque boisson était de l’argent en moins pour les enfants - mais lui et moi étions habitués...