Glouglouglouglou. Watanabe Chikara descendait goulûment cette énorme cuve d'eau qui servait à nettoyer le sol. Son sprint digne des plus grands coureurs d'Asatsuyu l'avait véritablement épuisé, tout ça mêlé à une gueule de bois qui rendrait jaloux les marionnettistes, sa gorge le brûlait intensément. Pas le temps d'attendre un petit bol d'eau, non, il avait déposé le jeune homme sur ses épaules entre les mains des membres de son clan, se jetant sur cette cuve. La moitié du corps plongée à l'intérieur, elle se vidait à vu d’œil. Une descente que personne n'aimerait remonter à pied. Une fois désaltéré, il se posa le long de la cuve, un rot sorti tout droit des abysses, fit presque trembler l'enceinte de son domaine. Un homme de grande classe à la tête de ce clan. Puis un sursaut, il venait de se rappeler le pourquoi de cette course frénétique.

-" BORDEL DE MERDE ! QUE TOUS LES WATANABE VIENNENT ICI, SUR-LE-CHAMPS ! QU'ON ME RASSEMBLE LA TOTALITÉ DE CETTE FOUTUE FAMILLE ET QUE CA SAUTE !"

Point positif, il avait retrouvé sa fougue et sa détermination. Point négatif, il allait sûrement choper une gastro des enfers après avoir vidé cette cuve d'eau non-potable. Bref. Revenons à nos moutons. Les quartiers du chef de clan Watanabe étaient en ébullition. Rare était ceux à avoir déjà vu leur chef dans cet état, de plus, lorsque Chikara donnait un ordre, on l'écoutait. C'était comme ça chez les Watanabe, honneur, fierté et respect pour sa famille. Les premiers membres ayant entendu les revendications de leur dirigeant se mirent à courir comme des poulets sans tête, à l'affût du moindre Watanabe à qui faire passer le message. Les plus proches firent rapidement irruption dans la demeure du chef, qui avait regagner ses appartements grâce à l'aide des femmes du clan, souvent affublés du travail domestique dans ce clan légèrement misogyne.

Les plus vifs et malins du clan des ouvriers, couraient dans l'ensemble du Quartier des Arts, à la recherche du moindre de leur compagnon, afin de les rassembler sous les ordres de Chikara. Bon nombres s’exécutaient sans broncher, l'allégeance à leur famille dépassant l'entendement. Surtout que personne, sauf le colosse et le petit homme captif, ne savait pourquoi un rassemblement d'une telle ampleur et si immédiat. Le chef aurait très bien pu attendre le rassemblement l'entièreté de sa famille pour lâcher un "Oups, j'ai oublié." C'était bien son style. Pourtant, personne ne discutait les ordres et tous abandonnait leur poste ou mission du jour afin de gagner rapidement la demeure du chef.

L'ensemble du Quartier des Arts pouvait assister à ce ballet folklorique, de ses artisans lâchant leur marteau pour partir en courant, de ses ouvriers abandonnant un chantier pour se carapater à toute vitesse, de ses vendeurs de sculptures lâchant leur stand afin de rejoindre la demeure du chef. Certains des badauds pensaient qu'ils allaient assister à une soirée d'anthologie, made in Watanabe. Même certains du clan courait le sourire aux lèvres, se voyant déjà ingurgité des montagnes d'alcool tout en chantant "La Belle d'Asatsuyu". Pourtant, cette réunion familiale était tout autre.


De son côté, le marteau battant l'enclume, travaillant le fer chaud et le cuir afin de proposer des services de qualité à son Seigneur et ses partisans, le borgne occupait sa journée avec son travail habituel. Il prenait petit à petit ses marques dans cette nouvelle forge ainsi qu'avec les nouvelles responsabilités que lui incombait son nouveau poste. Un poste, certes d'une grande importance, mais qui devait faire redoubler d'efforts au borgne. Malgré tout ça, la bienveillance de son seigneur lui laissait la liberté d'entreprendre d'autres actions ou missions pour son clan, de part sa capacité d'élu du clan Tsukuri.

Alors qu'il s'adonnait à ce travail rituel dans la plus grande ignorance de ce qu'il se tramait dans le village et surtout dans le Quartier des Arts, un ouvrier de son clan, que le borgne connaissait quelque peu, fit irruption dans son atelier, le visage rougi par l'effort et la transpiration perlant sur son visage.

-" Dodo! Il faut que tu viennes, vite, une réunion d'urgence du clan Watanabe à été demandé par Chikara. Je sais bien que tu n'es pas très proche de notre famille, mais tu es celui qui nous représente le mieux maintenant, ta présence est obligatoire! Emmène également ta sœur et ta mère, tous les membres, sans exception, doivent venir chez le boss!"

Sans perdre une minute, l'hyperactif disparaissait par la petite porte qu'il venait de fracasser par son entrée, laissant le borgne perplexe face à ses paroles. Mais certes, il n'avait sûrement pas le choix. Lâchant son marteau, Dodo quitta sa forge, remettant la porte en place, avant de partir en direction de sa demeure, où sa mère, sa sœur et la Tanuki devaient se trouver. Bien moins excités que son homologue Watanabe, le forgeron arpenta les rues d'un pas lent. Son œil curieux pouvait voir les courses folles de ses cousins, se rendant tous en direction de la demeure de Chikara. Visiblement, cette réunion était à prendre au sérieux. Le borgne pressa alors légèrement le pas, sans pour autant se mettre à courir dans les rues.

-" Bien. Il paraît que Chikara demande à tous les Watanabe de se rassembler chez lui, de manière urgente. Je crois que nous n'avons pas le choix. Je sais que tu n'aimes pas trop le chef maman, mais il faut absolument que tu me suives, on partira si jamais sa réunion est débile."

Furent les premières paroles de Dodo lorsqu'il passa le pas de sa maison, s'adressant directement à Anzu, sa génitrice.

-" Kitako, tu resteras à la maison comme d'habitude."

Une petite phrase à l'attention de la Tanuki, qui acquiesça sans broncher, d'un signe de tête. Elle était habituée à ce que le jeune homme ne lui adresse que très peu la parole, ne regardant même pas dans sa direction lorsqu'il lui parlait. Puis quelques minutes plus tard, la petite famille de trois membres se rendit en direction de la demeure du chef, curieux de savoir ce qui pouvait demander un rassemblement aussi immédiat de la part de l'ensemble du clan.

Le borgne et les deux femmes de sa vie arrivaient à destination. Un brouhaha immense s'échappait de la cour extérieure de la demeure du co-chef de famille. Une sorte de bourdonnement intempestif, où aucun mot précis ne pouvait s'entendre tant la foule s'adonnait à un débat houleux sans jamais s'écouter. Le borgne traversa alors la demeure du chef, où de nombreuses femmes s'attelaient à emmener vivres et boissons pour que la réunion familiale se déroule dans les règles de l'art. Un point que ne manquait pas de soulever le borgne, pas de vin, pas d'alcool fort, que de l'eau ou autre jus de fruit. Visiblement, cette réunion avait déjà un air de mystère. Le Watanabe esquissa même un sourire, pensant que la maison était dépourvue d'eau potable tant l'alcool avait remplacer la boisson vitale.

Une fois la demeure traversée, le trio familial arrivait dans la cour centrale où régnait un spectacle auquel la petite famille solitaire n'avait jamais assisté auparavant. Tous les membres du clan Watanabe, sans exceptions, se tenaient dans cette immense course, noircie de monde. Une vraie foule, dépassant l'entendement, se tenait ici, où ouvriers, politiciens, diplomates et commerçants du clan s'adonnaient à de grandes conjectures sur le pourquoi du comment de cette réunion. Il était rare de voir la branche principale ainsi que la branche secondaire se réunir au même endroit. Leurs visions du monde étaient bien différentes, et leurs avis différaient souvent. Pourtant, il ne formait bien qu'une, et même famille, maintenant que les deux branches n'existaient plus et que Byakuya dirigeait en binôme avec Chikara, qui, grâce à Dodo, avait pris du galon au sein de son clan et du village.

Quelques têtes connues se distinguaient de la masse informe de monde. Sur une petite scenette où siégeait deux sièges en bois massif, Byakuya était présent. Comme à son habitude, il restait silencieux, son regard inquisiteur traquant le moindre mouvement de ses congénères. Savait-il seulement pourquoi tous étaient rassemblés ici? Bien sûr que non, il aurait même préféré ne jamais se trouver ici, en compagnie de ceux qu'il qualifie "d'abrutis". Dans un autre coin de l'assemblée à ciel ouvert, se tenait un homme mystérieux et froid, connu sous le nom de Kintaro. Dodo ne le connaissait que très peu, mais sa réputation le précédait, un homme d'ambition et de réflexion. À ces côtés se tenait le futur du clan Watanabe, le jeune prodige, le défenseur du Rempart : Takeshi. Un jeune homme pleins de promesses, à la maturité balayant les clichés de son jeune âge. Il était l'homme de main de Kintaro, qui l'avait pris sous sa tutelle, ayant eu le flair de s'allier à cet homme de valeur en devenir.

Nombreux étaient les Watanabe qui accueillaient le borgne comme un héros, affublé de magnifique hypocrite, alors que c'est même personne ne lui adressait même pas la parole quelques mois plus tôt, branche secondaire ou principale. Malgré tout, il n'était pas là pour faire l'hautain, un trait de caractère bien loin de sa nature propre, il répondait à ses sourires par des poignées de main et des tape sur l'épaule, comme s'ils les connaissaient tous depuis sa plus tendre enfance. Après tout, ils étaient une famille. Au côté du borgne, sa mère, Anzu, ne s'affublait pas de geste hypocrite ou autre sourire de circonstance. Non. Elle avait une rancœur contre les membres du clan Watanabe, notamment la branche secondaire, qui plaçait la femme à un rang qu'elle méprisait plus que tout. Elle, la femme forte et indépendante, ayant élevée ses enfants seules, ne pouvait être réduite au simple rang de bonne à tout faire. Un choix que respectait Dodo, sa mère étant la femme qu'il respectait le plus au monde, il était dans son bon droit de se comporter comme bon lui semblait.

-" Oyez Oyez Oyez !"

Une voix grave et rauque, sortie de nulle part, stoppa nette les débats houleux des membres de l'Assemblée. Chikara fit son apparition, sous les applaudissements des membres de sa branche et sous les regards sceptiques des autres, appuyés par Byakuya, qui visiblement, était aussi intrigué par cette réunion que l'ensemble du public. Un visage grave, sérieux, un tissu imbibé d'eau froide posé sur le front, Chikara arborait la mine des grands jours, ou plutôt, des sombres jours. Les applaudissements se stoppèrent aussi vite qu'ils avaient commencé, tous comprenaient maintenant que ce rassemblement d'urgence était bien loin de l'orgie festive que certains croyait trouvé en ces lieux. Accompagné de Chikara, le petit homme, de la brigade Kai, le visage déconfit par sa présence en ces lieux, son esprit ne cessait de se répéter "Mais bordel, qu'est ce que je fous là moi?". Et tous se posaient la même question, qui était-il ? Et pourquoi siégeait-il aux côtés des deux dirigeants du clan? Ils allaient bientôt tous le savoir.

-" Merci d'être tous venu aussi rapidement! Je vois que la totalité de notre famille est présente ici. Byakuya, merci d'avoir relayé le message et d'avoir ramené ta petite tête ici bwahahaha. Mais trêve de plaisanterie, l'heure est grave mes enfants! Le petit homme ici présent va tout vous expliquer. Vas-y gamin, moi, j'ai déjà un peu oublié bwahahaha."

Du grand mendes. Alors que les anciens membres de la branche secondaire buvaient les paroles de leur supérieur, les autres membres, tels que Dodo ou Kintaro voyaient leur visage se décomposer par la légèreté d'un de leur deux dirigeants. Un sacré personnage ce Chikara.

Clac-clac-clac-clac. Le bruit des genoux et dents du petit homme de la brigade Kai s'approchant alors du bord de la scénette, tremblotant et le visage déconfit. Il ne savait pas ce qu'il faisait là, et il ne voulait surtout pas être ici. Lui, qui pensait arpenter les ruelles tranquilles afin de tester quelques habitants, se retrouvait maintenant kidnappé par un colosse alcoolique, qui l'avait mené devant une foule de monde, qui le dévisageait de toute part. Il n'était pas habitué, lui, l'enfant unique, protégé contre toutes les méchancetés et cruauté du monde par sa mère poule. C'était la première fois qu'il s'émancipait de la sorte, souhaitant rendre service au village. Pourtant, elle lui avait dit sa mère, de ne pas traîner dehors, de ne pas parler aux inconnus, de ne pas boire, de ne pas fumer, de ne pas côtoyer des voyous, de ne pas s'approcher des animaux, de ne pas manger un produit d'un marchand, de ne pas sortir avec trop d'argent sur lui, de ne pas courir trop vite, de ne pas traverser sans regarder, de ne pas... Bref. Il aurait peut-être dû l'écouter.

-"B-bonjour.. J-e s-suis un membre de la brigade Kai, j-je..
- Abrège le mioche!
- On n'a pas toute la journée!
- T'es qui d'abord?
- Mais j-je viens de v-vous le dire.."

-" Taisez-vous. Maintenant."

Un ton calme et sérieux, qui malgré la nonchalance, venait de calmer l'ensemble de l'assemblée. Et pour cause, Byakuya lui-même, l'autrefois dirigeant solitaire du clan, assis profondément dans son siège, venait de prendre la parole. Lui non plus n'avait pas de temps à perdre. Plus certains membres continueraient à brailler de la sorte, moins le jeune homme irait droit au but.

-" Sois rassuré petit homme. Personne ne t'interrompra plus. Mais sois le plus concis et précis possible, je te prie. Reprenons."

Un regard en direction du jeune homme, au bord des larmes. Un visage amical et compréhensif, Byakuya savait être bon, du moins, quand cela jouait en sa faveur, ce qui était clairement le cas ici. Le membre de la brigade Kai renifla un bond coup, avala sa morve et rattrapa ses larmes. Il serait court et précis, comme demandé. De sa voix fluette, il reprit.

-" Une maladie rôde sur le village d'Asatsuyu, le Mal Noir. Il a pris ses racines dans la Ceinture Noire, mais malheureusement, l'ensemble du village à été touché dans une sorte de "vague de contagion". Le rôle de la brigade Kai, dirigée par Bunji l'Explorateur, Jin le Gardien et Sasaki Koubai, consiste à tester les habitants du village, afin de savoir combien de personne sont atteinte de cette maladie. Nous agissons par groupe d'habitude, mais j'imagine qu'ici, je vais devoir tester tout le monde, un par un.."

La réalité le rattrapa, lui, le petit senseur, venait de se rendre compte du pourquoi il avait été amené ici. Certes, les explications étaient une raison, mais il venait de comprendre, oui, à lui seul, il devrait tester ses centaines de membres du clan. Triste désillusion, au point que les larmes refirent leur apparition à l'orée de ses paupières. Il ne devait pas craquer, après tout, il avait signé pour ça.

-" C'quoi ces conneries?
- Qu'est-ce qu'il raconte le môme?
- C'est quoi cette maladie? Pourquoi on l'aurais?"

Le brouhaha repris de plus belle, chacun allais de sa remarque et les débats reprirent en grande pompe. L'assemblée était agitée et semblait mettre en doute la parole du petit homme, qui était complètement dépassé par les circonstances.

-" J'ai dit, taisez-vous."

La même voix calme, le même ton passif-agressif. Byakuya se leva de sa chaise, légèrement énervé du manque de discipline de son clan, qu'il aurait clairement mis sur le dos des membres de l'ancienne branche secondaire. Il fixa tout d'abord le jeune homme, tout en lui tournant autour, son regard inquisiteur descendant jusqu'à ses pieds, avant de remonter et se poser sur le kanji Kai, apposé à même son torse, sur cette sorte de tenue qui permettait au membre de la brigade de se reconnaître.

-" Ce petit homme dit vrai. J'ai moi-même entendu parlé de cette maladie, bien que je pensais qu'elle n'avait pas franchi le blocus de la Ceinture Noire. Et qui sommes-nous, pour remettre en cause la parole de ce jeune enfant ayant cité les noms de Bunji, Jin et Koubai ? Personne ne serait assez fou, surtout à son âge, pour citer de tels noms accompagnés d'une flopée de mensonges. Bien. Nous avons assez perdu de temps en enfantillages et autres débats stériles. Passons alors au test. Si tu es capable de définir si ce Mal nous ronge, alors je serai ton premier cobaye."

Le chef de clan se stoppa, face au petit homme. Ce dernier mis du temps à agir, mais repris confiance en lui, afin de tester le tout premier membre de cette grande réunion familiale. Il posa alors la main sur son poignet, effectuant un mûdra, le membre de la brigade Kai ferma les yeux, se concentrant sur ses dons de senseur. Quelques secondes s'écoulèrent, ni plus, ni moins, ses yeux se rouvrirent. Un sourire rassuré orna son visage et d'un signe négatif de la tête, il fit part de son verdict. Byakuya n'était pas contaminé.

-" Bien. Formez des colonnes afin que ce petit homme puisse vous sonder. Si certains d'entre vous ont également des dons de détection, qu'ils se manifestent afin d'aider cet enfant dans sa rude tâche. Nous n'allons pas le laisser faire tout le sale boulot."

Le regard de Byakuya se posa maintenant sur son homologue et co-dirigeant, Chikara. Un regard sombre et hautain, qui fusillait la mauvaise gestion de la crise. Puis, d'un mouvement lent et charismatique, l'ex chef de la branche principale descendit de la petite scénette. Il en avait fini ici, il avait des affaires plus importantes qui l'attendait ailleurs.

Quelques minutes s'étaient écoulées, une poignée d'élus avait rejoint le petit homme afin de prendre connaissance de la technique à adopter afin de tester les membres du clan. Dans le même temps, des colonnes s'étaient formées face aux senseurs, afin de commencer cette phase de test qui s'annonçait longue et éreintante pour tout le monde.

Voilà que de longues minutes venaient de s'écouler, les colonnes ayant été formées et le travail de détection ayant débuté. Le petit homme s'était entouré de 4 membres du clan, ayant également des qualités de senseur. Un rude travail les attendait, devant tester l'intégralité du clan Watanabe, soit une centaine de membre, avec ce tout petit groupe. La transpiration commençait à perler sur leur front, la journée s'annonçait longue et éreintante pour les 5 hommes dévoués. Mais, grâce à l'intervention de Byakuya de longues minutes plus tôt, l'ensemble de l'assemblée semblait s'être cadrée, ne partant plus en débat stérile et suivant les consignes comme un troupeau. La peur du membre de la brigade s'était envolée, son rôle prenait tout sons sens ici. Malgré la dureté de sa tâche, il esquissait même un petit sourire, il se sentait, enfin, utile.

Parqué à l'intérieur d'une de ses colonnes, le borgne avançait pas à pas, au fur et à mesure que les membres de sa famille étaient testé. Il effectuait également son rôle de grand frère, les deux mains posées sur les épaules de la petite Eiko. Cette dernière avait pris peur lorsqu'elle avait entendu le mot maladie, qui sonnait toujours négativement dans ses petites oreilles enfantines. Mais le borgne était protecteur, il s'était rapproché de la petite fille afin de lui montrer qu'elle n'était pas seule, que, peu importait cette maladie, son grand frère serait toujours là. Le borgne gardait la face, ne laissant transparaître aucune émotion négative, pour ne pas inquiéter sa petite sœur d'une part, mais également, car il semblait bien loin de prendre ce Mal Noir au sérieux. Il n'en avait presque jamais entendu parler, et aucune personne de sa famille ne semblait avoir quelconque symptôme de cette maladie, ce qui le rendait perplexe quant aux moyens déployés pour cette chose.

Le tour de la petite famille arrivait bientôt, mais les choses basculèrent d'un coup pour l'ensemble de l'Assemblée. Le premier cas de ce Mal Noir venait d'être détecté, un artisan d'un certain âge de l'ex-branche secondaire venait d'être testé positif. Les regards se tournèrent immédiatement sur lui, nombreux étaient ceux qui s'écartaient de plusieurs mètres, le dévisageant de tout leur être. Le vieil homme se confondait en excuses, se mettant presque en colère en remettant en cause le petit homme et les techniques utilisées. Il ne croyait pas à cette maladie et dénonçait une vaste blague visant à le décrédibiliser. Une bien piètre excuse pour un lambda de ce clan. Autant de moyens n'auraient pas été mis en place pour un homme si "insignifiant" politiquement parlant.

-"Calme-toi. Si le petit homme et les senseurs de notre clan t'ont jugés malades, alors tu l'es. Pas b'soin d'en faire des caisses. Tu resteras cloîtré chez toi le temps qu'on en sache plus sur cette maladie. C'est un ordre. Que je n'te vois pas traîner dans les rues et les quartiers du clan."

Première fois depuis un moment que Chikara prenait la parole sans rire gras, sans blague, sans insulte et sans chanson. Il prenait petit à petit conscience que ce Mal Noir n'était pas à prendre à la légère bien que le vieillard ne semblait pas avoir de symptôme mettant sa vie en péril. Mais si les anciens dirigeants avaient déployé autant de moyens dans cette brigade Kai, c'est que quelque chose de dangereux se tramait. Aucun risque ne devait être pris, pour le bien du clan Watanabe. Le vieil homme, les poings et dents serrées de rage, ne pouvaient remettre en cause les paroles de son chef. Il acquiesça d'un léger signe de tête avant de disparaître de la cour intérieure du domaine.

Ce fut la petite Eiko à être testée la première. Son bras tremblotant s'approchait petit à petit du petit homme, qui de son sourire enfantin essayait de rassurer l'enfant. De son côté, le borgne plia les genoux, se mettant au niveau de sa petite sœur tout en restant très proche d'elle. Elle n'était pas seule, jamais. Le membre de la brigade saisissait alors lentement la main de l'enfant, effectuant un mûdra afin de procéder au test. Les secondes s'écoulèrent, le monde s'arrêtait de tourner pour se braquer sur cet instant. Le cœur du borgne se mit à accélérer, il attendait avec impatience le verdict du jeune homme. Boom boom boom boom. Un sourire angélique apparu sur le visage du senseur, l'accompagnant d'un grand signe négatif de la tête. Elle n'était pas malade. Un grand soupir de soulagement s'échappa de Dodo, et également d'Anzu, sa mère. La petite fille poussa un petit cri de joie, avant de sauter dans les bras de son grand frère. Se relavant dans la foulée, la petite dans ses bras, c'était maintenant au tour du borgne d'être testé.

Le petit homme s’exécuta s'en perdre un instant, il ne voulait faire attendre le borgne, ayant déjà entendu parler de son importance et de ses prouesses récentes. Dodo libéra un de ses bras, portant la jeune fille à l'aide de son bras gauche, sa main droite fut tendue en direction du membre de la brigade. Les secondes défilèrent également, mais le borgne s'attendait à une réponse négative, ne sentant aucun changement particulier, que ce soit physiquement, ou spirituellement, son chakra étant toujours stable et réactif.



La main du petit homme lâcha rapidement celle du borgne, sa tête se relevant rapidement. Les regards des deux hommes s'entremêlèrent, quelques tremblements apparurent chez le senseur, il s'apprêtait à parler.

-"Ne dis rien. Pas devant elle. Rassure-toi j'ai compris, mais s'il te plaît, ne le dis à personne."

Furent les chuchotements du borgne à l'intention du petit homme, son visage froid et son œil noir appuyant ses propos au point que le petit senseur ne pouvait refuser. Sans le montrer, il acquiesça les paroles du borgne, avant de le laisser partir à son tour. Il ne savait pas s'il avait bien fait, mais qui était-il pour passer outre les paroles de ce colosse et héros du village. Il ne pouvait pas faire autrement, il était bien trop couard, bien trop peureux pour faire abstraction des paroles de Dodo. Le borgne le remercia en silence, avant de faire demi-tour. La mère était passée sur une autre colonne, elle venait d'être testé négative dans le même temps que son fils venait d'apprendre la mauvaise nouvelle.

-"Une bonne chose de faite, nous ne sommes pas malade, rentrons à la maison."

Une phrase dites avec le sourire à l'attention de ses deux enfants. La petite famille s'exécuta, dans un silence de mort pour le borgne, choqué d'être frappé par ce Mal Noir. Il devrait le dire à sa mère, et il devrait prendre ses distances avec son foyer, par précaution. Mais pas maintenant, pas ici.