Histoire et Philosophie d'un Siècle.
Fin d'Hiver, An 2
La vie est un long fleuve tranquille, dirait un vieil adage. Elle ne l’est pas. Il y a des rapides, de temps en temps. Parfois, il y a des méandres. Une confluence. Puis une chute. Tout n’est pas toujours aussi tranquille. La vie n’est pas plus simple pour autant, non plus. En tant que paysan, la vie peut même être rude. Difficile et pénible. Se lever tôt pour nourrir les quelques bêtes. Partir aux champs pour bosser son lopin de terre. Manger rapidement ce que la terre veut bien donner. Reprendre le travail. Rentrer tard. Ne pas profiter véritablement d’un instant avec son épouse. Sa famille. Ses petits-enfants. S’endormir. Se réveiller avec les courbatures de la veille. Recommencer. Parfois, le temps s’y met aussi. Sous la pluie. Sous la neige. Sous de terribles rafales de vent. Il fallait pourtant travailler.
Cette vie, il l’avait choisie alors qu’il n’avait que neuf ans. Suivant les traces de son père, il l’avait sagement écouté jusqu’à aujourd’hui. Même décédé, il avait décidé de lui faire honneur. Ayant eu foi en cet homme, il ne comprenait néanmoins pas ce qui se passait depuis plusieurs semaines. La météo était différente. Tout comme ses nuages noirs qui poussaient au-dessus de sa tête lorsqu’il réfléchissait trop. Des idées noires qui se créaient alors au-dessus de son crâne. Soupir. Il ferma brièvement les yeux alors qu’il se redressait légèrement, sentant les os de son corps craquer sous ce mouvement. Glissant son bâton de berger sur ses genoux, il observait le centre historique de la Cité. Le Kiosque n’était pas un endroit comme les autres. Des hommes et des femmes étaient bien habillés. Quelques crieurs publics, d’humeur matinale, se lançaient dans l’exercice de leurs fonctions, hurlant à qui voulait l’entendre les dernières et récentes nouvelles qui traversaient la Cité.
Hochant la tête pour lui-même, le vieil homme était accompagné d’un de ses petits-enfants, Itari. Ou plutôt une de ses petites filles qui, les yeux brillants d’affection pour le vieil homme, était désireuse de l’entendre raconter l’une de ses histoires.
« Allez, Papi, dis-moiiiii, s’teuplaîîîîîîîît ! »
Il était déjà vaincu par cette dernière. Elle arrivait toujours à gagner, lui décrochant même un sourire amusé par son comportement. Tapotant de sa main droite pour qu’elle vienne s’asseoir, elle se colla directement à son bras, trop heureuse d’obtenir une nouvelle Histoire. Elle voulait tout savoir, à son âge. Quoi de plus pour le rendre heureux.
« Il n’y a même pas cent ans, un peu plus que mon âge quand même, il n’y avait pas grand-chose, tu vois. Juste essentiellement des tentes, des maisons faites de toiles, qui souffraient lorsqu’il pleuvait, lorsqu’il neigeait, lorsque les vents se montraient trop violents. Imagine un peu cela, des gens qui ne pouvaient qu’à peine se protéger. »
Puis levant le bras comme pour effacer tout ce qu’il y avait autour d’eux.
« N’imagine rien de tout cela ! Que des plantes, à peine des routes, quelques chemins pour se rejoindre. As-tu seulement idée ? C’est comme s’il n’y avait même pas encore de troupeaux, ni des champs. Rien de tout ce que tu connais n’existait il y a même cent ans. »
Il sourit tendrement alors qu’il passait une de ses grosses mains dans la chevelure de sa petite fille. Puis, s’arrêtant brièvement, il posa un baiser dans ses cheveux.