▬ Ryuuuuuu ! Où est-ce qu'il est encore passé cet idiot.. pesta la jeune femme, en poussant un râle de mécontentement.

Il y avait près d'une heure que Kaori cherchait son coéquipier qui était d'ores et déjà en retard pour sa nouvelle mission. Elle ne connaissait que trop bien le bougre : une mission à l'intérieur de la citadelle ne l'enchantait certainement pas et il devait être en train de procrastiner pour l'esquiver. Il ne savait pas la chance qu'il avait.. Elle qui était trop faible pour agir in situ mais qui rêvait pourtant d'aventures - comme son homologue - devait se contenter de la partie théorique. Dresser des cartes et des comptes-rendus de missions des plus aguerris qui eux, avaient les compétences pour accomplir ses plus grands rêves. Elle s'était certes résigner à accomplir ce travail de l'ombre, à narrer les exploits des héros à défaut de pouvoir en être, il était en revanche hors de question qu'elle laisse un individu aussi prometteur que Ryū cracher sur son potentiel par caprice. Elle se devait de lui mettre des coups de pieds au cul quand il le fallait.  

Lasse de chercher dans tous les recoins où il pouvait potentiellement se trouver, elle finit par aller au plus évident : son domicile. Le pas ferme, dont on pouvait facilement y deviner de l'agacement, elle arriva en moins de deux face à la porte du Tekiya, qu'elle ouvrit avec force, pour y découvrir un spectacle des plus exaspérants..




▬ Rrrrr.. Oui Princesse Tulipe.. On ira par delà les frontières.. Rrrrr... Sasageyo.. Sasageeeeyo.. Rrrrr marmonnait Ryū entre deux ronflements, affalé dans son lit.

La jeune femme inspira profondément en fermant les yeux, se retenant d'exploser. Mais ça ne semblait pas être très efficace..

▬ RÉVEILLE TOI DEMEURÉ !! T'ES EN RETARD POUR TA MISSION !! Rugit-elle soudainement d'une voix aiguë.

Brusqué dans ses songes, Ryū poussa un petit cri des plus ridicules en sursautant si fort qu'il en tomba de sa couche. La main serrée sur son cœur que l'on entendait de l'autre côté de la pièce, haletant, il dévisagea la furie les yeux écarquillés.

▬ Mais t'es complètement malade ! Il t'arrive quoi à crier comme ça dès le matin ?! Hurla-t-il à son tour en se calibrant sur les décibels de sa comparse.

▬ On est en plein après-midi abruti !! Raaah.. La jeune femme posa sa main sur son front, grimaçant, et prit une nouvelle inspiration pour tenter de se calmer. Pour autant, sa voix restait tremblante d'agacement. J'en ai marre de te courir après pour des futilités pareille, tu devrais être un peu plus consciencieux.

▬ Mais t'en fais pas, y'a pas le feu, c'est pas comme si j'étais en retard pour une.. mi..ss.. Ryū s'arrêté net. Il fronça les sourcils et se mit à cligner des yeux rapidement.. Puis s'agita d'un coup dans tous les sens. PUTAIN MA MISSION ! MAIS POURQUOI TU M'AS PAS PRÉVENU PLUS TÔT ?!

▬ MAIS T'ES VRAIMENT UN INGRAT !! Qu'est-ce que tu crois que je fais là, depuis tout à l'heure je me tue à..

▬ J'ai pas le temps pour ça Kaori, désolé, j'suis en retard ! On s'voit plus tard ! Hurla le Tekiya, ayant déjà bondit par la fenêtre.

La jeune femme, laissée toute seule dans son appartement, se massait les tempes en laissant échapper de nombreux soupirs d'exaspération.

▬ Qu'est-ce qu'il est épuisant ce garçon..

De son côté, Ryū se hâtait de rejoindre le point de rendez-vous. Bondissant de bâtiments en bâtiments avec une agilité sans pareille, manquant de renverser de nombreux passants dans sa course, il repensait à ce contrat qu'il avait accepté non sans grincer des dents. Pour dire vrai, il ne se souvenait plus réellement des tenants et des aboutissants de ce qui lui avait été demandé, il se rappelait simplement que ledit contrat se passait à l'intérieur de la cité - donc rien de très excitant en somme - et qu'il ne serait pas seul. C'est ce dernier point qui avait finalement attiré sa curiosité, et ce qui l'animait présentement. Il se demandait qui pouvaient-ils bien être, et s'ils étaient dotés de dons, comme lui. Cette idée lui fit accélérer le pas, et il ne tarda pas à arriver à destination.

Evidemment, il était le dernier arrivé. Un homme et une femme attendaient patiemment que le trio soit réuni. Arrivant en trombe, il freina brutalement pour s'arrêter à leur niveau, un sourire gêné sur le visage.

▬ Salut ! J'suis désolé pour le retard ! dit-il en se grattant l'arrière de la tête.

Mais quelque chose l'intriguait. Il pencha la tête sur le côté en les observant, comme pour témoigner machinalement de son incompréhension. Très vite, il s'approcha respectivement de la femme, puis de l'homme, en les reniflant comme le ferait un animal. Il eut alors un brusque mouvement de recul de la tête. Une odeur se dégageait d'eux.. Bien que drastiquement différentes, il y avait quelque chose de similaire dans ces deux émanations olfactives.. Quelque chose qu'il ne connaissait que trop bien. Âcre. Persistant.

▬ Vous avez peur ? dit-il avec innocence, sur un ton dénué de toute moquerie. On sera à l'intérieur de la cité, ça ne devrait pas être trop dangereux, non ? Et puis, on est tous les trois ! Ils devraient pas nous arriver grand chose si on se soutient ! poursuivit Ryū en haussant les épaules.

Évidemment, son geste totalement inapproprié n'avait pas été apprécié par ses pairs : lui, dégoûté ; elle, outrée. Mais Ryū ne pouvait s'en empêcher ! Cela faisait parti intégrante de sa façon d'appréhender les relations sociales, c'était comme cela qu'il comprenait l'autre - car bien sûr, leurs angoisses n'étaient pas la seul chose qui était perceptible à son odorat et il avait d'ores et déjà imprimé leurs odeurs respectives comme élément de leur personnalité. A la vue de leur embarras, il ne put retenir une petite moue désolée, et voyait déjà Kaori lui faire un énième sermon sur les comportements et autres codes sociaux à adopter dans ce genre de cas..

Heureusement, ils passèrent très vite à autre chose, préférant outrepasser son manque de manière pour parler de ce qui les intéressait principalement : leur mission. Ils se présentèrent très vite, annonçant à la fois leur identité, et leur épithète, qui donnait vraisemblablement bien plus d'information sur eux qu'on ne pouvait penser. La  « princesse bonbon » et le  « cerveau des opérations.. »  Le cerveau ! En voilà un match parfait ! Ryū était soulagé. Réfléchir n'était pas son fort, et s'il pouvait se délester de toute analyses et d'élaboration de plan, il n'en pouvait que s'en réjouir et s'en tenir à ce qu'il savait faire de mieux..

▬ Moi c'est Ryū ! dit-il avec un entrain anormal, surjouant une révérence maladroite pour tenter de se rattraper de son manque de manières.

Il était quelque peu intimidé par tout ce simulacre de présentations et préféra s'en tenir là, tendant en revanche une oreille attentive pour comprendre ce qui se passait. Ses deux comparses se mirent ensuite à présenter leur appréciation de ce que devrait être la marche à suivre.

▬ Bon, tout d'abord.. Nous n'avons aucune information sur les braqueurs. C'est pourquoi nous devons récupérer des informations sur leurs derniers braquages, où ils ont lieu.. Je doute qu'ils reviennent deux fois dans le même magasin ou dans le même périmètre très proche. Si on quadrille une zone de cette façon, on devrait pouvoir anticiper leur mouvement. Vous en pensez quoi ? présenta premièrement le Cerveau des Opérations.

Le sauvageon se contenta d'hocher la tête vivement, tâchant au mieux de ne pas perdre sa concentration. Il est vrai que des informations pourraient vraisemblablement les aider à mieux identifier la menace, restait la méthode opérative. Bon nombre de racontars allaient et venaient sur les criminels qu'ils recherchaient, et il était compliqué pour lui de déceler le vrai dans tout ce qui se disait - et il espérait qu'ils puissent le faire, pour être honnête. Ryū commençait déjà à s'impatienter. Tiquant, battant du pied. C'est bon, ils avaient le plan, on quadrille la zone, on peut y aller ?!

▬  Je ... crois que ça aurait été une bonne idée. Mais pas ici. Pas dans la Ceinture Noire. Ce qui s'applique pour des gens comme nous ne s'applique aux gens d'ici. Cette bande peut très bien avoir des oreilles un peu partout où ils ont fait des casses, justement pour se planquer si jamais des gens, comme par hasard, "nous", venions à enquêter. répondit la princesse.

Apparemment, non.. La jeune femme n'était pas d'accord avec Sano. Ryū plissa les yeux. Elle tranchait complètement avec la Ceinture Noire et elle ne semblait pas appartenir à cet environnement, alors comment pouvait-elle être aussi tranchée quant aux fonctionnement de ses habitants ?

▬  Personne osera faire quoi que ce soit avec nous dans les parages. Par contre, si un de nous va poser des questions, seul, avec un air pas forcément dangereux, ça pourrait leur donner l'idée de venir le tabasser, histoire d'avoir un problème en moins sur leurs bras. Et là, bam ! Les deux autres, cachés jusque là, interviennent ! Poursuivit-elle, avant de conclure. Je préviens direct, je suis pas l'appât, c'est pas mon point fort.

Ryū eut une large moue douteuse. Si l'on devait choisir la personne qui avait un « air pas forcément dangereux, » des trois, elle aurait pourtant été l'appât parfait. Mais tant mieux ! Il avait déjà assez attendu comme ça ! L'idée même de devoir patienter encore, camouflé, à attendre que l'un d'eux se fasse attaquer l'aliénait.. Il en tiquait d'avantage. Comme parcouru de spasmes. Comme s'il se battait contre ses instincts les plus primaires de ne pas foncer tête baissée. Comme s'il n'avait rien à faire de cette phase préparatoire.

▬ Moi j'peux le faire ! Vous n'aurez qu'à prendre de la hauteur, ou vous camoufler pendant que je reviens sur les lieux des casses. Et puis s'il y a le moindre soucis, je pourrais toujours vous retrouver grâce à vos odeurs, dit-il en tapotant son nez, un fin sourire aux lèvres. Et puis pour ce qui est de la zone bah.. On peut.. Hein ?!




Ryū se retourna brusquement, après avoir entendu un bruit sourd au fond de la ruelle où ils s'étaient donnés rendez-vous. Un petit homme, caché derrière un amas de cageots, et dont seul la tête dépassait, semblait les observer. Il avait manqué de discrétion et avait fait tombé une des caisses en bois qui le camouflait, alertant ainsi le groupe. Lorsque ceux-ci se retournèrent, il poussa un petit cri de surprise avant de prendre la fuite, paniqué.

Le Tekiya s'illumina et se retourna vers ses comparses.

▬ On a la plan, hein, ça y est ? dit-il d'une voix presque plaintive, sans tenir en place, pour être sûr de ne pas agir sans les concerter. Il esquissa un large sourire presque carnassier en bougeant ses épaules comme pour s'échauffer. Alors c'est parti !

Sans plus attendre, il se rua à la poursuite de l'intrus dans une course féline, le buste au ras du sol, avant de disparaître au coin de la ruelle. Espérons que ses acolytes pourront le suivre et appliquer le plan comme il était convenu, malgré cet imprévu ! Les hostilités étaient lancées !

Ryū poursuivit sa course, rasant le sol de sa posture dynamique en affichant un sourire carnassier.. Jusqu'à enfin rattraper sa cible. Il ne lui fallut que peu de temps pour emboîter le pas de sa proie, et ce n'est que lorsque sa main s'abattit sur sa gorge et le souleva pour le plaquer contre le mur, qu'il comprit pourquoi. Les yeux plissés par la douleur, les jambes se débattant dans le vide, quelques larmes perlant sur ses joues blanchies par la peur.. C'était un enfant que le Tekiya venait d'attraper. Un enfant. Merde. Le sourire de prédateur qu'arborait Ryū s'effaça instantanément. Sa poigne se desserra et il lâcha le garçon qui s'écroula sur ses genoux en toussant fortement.

Ryū recula de quelques pas, observant la main qui avait étouffé le chiard, quelque peu choqué de son geste. Son impulsivité l'avait amené à être négligeant. Il s'était laissé dominer par ses instincts. C'était là ce qu'il devenait ? Hésitant, il se rapprocha de sa cible, et eut finalement un mouvement de recul instinctif quand le jeune garçon se recroquevilla sur lui même pour se protéger de son agresseur. Il ne savait pas quoi faire, bafouillant vulgairement des excuses qui étaient incompréhensibles tant elles étaient déformées par sa gêne - et finit par étouffer un juron.

Et vint finalement son salvateur. Sano avait finit par le suivre, ne suivant finalement pas le plan qui avait été grossièrement établi pour le suivre en découvert. Sans aucune hésitation, sans trembler, il se positionna à hauteur de l'enfant et glissa une lame sous sa gorge pour le menacer.

▬ T'as une seule chance, fais attention si tu mens, tu sais comment ça se passe par ici. Qui t'as envoyé ?

Alors que Ryū allait lui tirer sur l'épaule pour l'en empêcher, son discours a sonné comme une sirène d'alarme. Comme pour le ramener à la raison. Oui, lui aussi savait « comment ça se passait par ici. » Il ne pouvait ni agir en étant dicté par ses instincts, ni par ses émotions. C'était ça, aussi, la vie d'un Tekiya. Non sans grincer des dents, il recula de quelques pas, le laisser mener son interrogatoire musclé. Ils ne pouvaient pas se permettre d'omettre le moindre détail dans ces rues.. Ni se montrer trop faible, ou ils allaient finir par se faire bouffer.

Au lieu de ça, il se mit à analyser grossièrement leur nouvel environnement pour ne pas se laisser surprendre par une éventuelle péripétie. D'ailleurs, où était Azami ? Avait-elle abandonné la mission, lassée par l'impulsivité de notre homme-bête, ou bien même confuse par la dangerosité potentielle du contrat ? Ou bien s'était-elle fait prendre en embuscade, et dans ce cas, étaient-ils les prochains ?

Tous ses sens aux aguets, il laissa son comparse entreprendre la récolte d'information pendant qu'il attendait patiemment en retrait ; prêt à toute éventualité.

Ça lui devenait insoutenable. C'était trop vrai pour être joué.. L'odeur de sa peur lui brûlait les narines, elle venait secouer son empathie. Il commençait à être envahi par un profond sentiment de malaise. Ce qu'ils faisaient n'était pas juste. Se méfier était une chose, se fourvoyer en était une autre ; et il fallait savoir l'accepter. Son impulsivité lui avait fait défaut, et c'était maintenant la vie d'un innocent présumé avec laquelle ils étaient en train de jouer. Il ne pouvait plus le cautionner. Ils allaient devoir revoir leur approche.

▬ S-s-s'il.... v-v-vous p-p-plaît... gémit le garçon, le visage déformé par la terreur.

C'en était trop. Laissant échapper un soupir douloureux, Ryū ne se retint pas cette fois-ci et posa fermement sa main sur l'épaule de son comparse. Ferme, certes, mais dénué d'agressivité, souhaitant simplement lui faire réaliser qu'il était temps d'arrêter cette mascarade. La princesse bonbon eut un petit mouvement du bras qui ne se détendit pas jusqu'au bout, comme pour accompagner celui de l'homme-bête et souligner sa démarche. Sano grimaça avant de retirer son bras. Non pas qu'il n'était pas d'accord avec les siens, mais plutôt comme si.. Comme si il était temps qu'on l'arrête et que lui même ne supportais plus d'être l'acteur de cet interrogatoire ridicule.

▬ Je suis désolé garçon, tu comprends, nous ne pouvions pas.. Hugh !

Alors qu'il était en train de s'excuser pour son agressivité, le cerveau des opérations se prit un projectile en pleine tête. Tous trois baissèrent les yeux au sol pour voir de quoi il s'agissait. Roulant encore à quelques centimètres de sa position.. Une pierre ?! Ryū, un peu plus en retrait, pu aisément deviner l'endroit dont il avait été jeté : l'un des toits situé dans leur dos. Il s'y retourna brusquement. Un deuxième projectile ! Cette fois-ci dans sa direction, qu'il esquiva in extremis, frôlant sa joue.




▬ Lâchez-le, les monstres ! s'écria un jeune garçon qui était apparu dudit toit, à peine plus âgé que leur détenu. Il tenait une pierre qu'il faisait aller et venir de sa main, pour les menacer.

Ryū fronça les sourcils, puis renifla bruyamment. Il n'était pas seul.. Plusieurs odeurs se dégageaient de leur perchoir. Tendant finement l'oreille, il put déceler quelques murmures, brouillés par la distance et la peur. Un large sourire se dessina sur le visage du Tekiya. Il ne pouvait qu'être séduit par la témérité de ce jeune garçon qui avait grandit dans les mêmes rues vénéneuses que lui. Ce jeune garçon, qui osait se montrer - là où ses acolytes semblaient se cacher - face à trois Tekiyas avec un calme quasi-insolent pour son âge, pour protéger son cadet, dégageait quelque chose.. Il en éprouvait même une certaine fierté ! Il savait ce que c'était de grandir dans cet environnement sans repère, et avait eu lui aussi sa bande de jeune délinquant pour qui il était prêt à mourir.

Sans faner son sourire, Ryū leva les bras comme pour se rendre, lui témoignant qu'il prenait sa menace au sérieux. Sano, comprenant lui aussi la situation, et voyant surtout les informations qu'ils pouvaient glaner à ces nouveaux protagonistes, rangea son arme et s'écarta de quelques pas, croisant quant à lui les bras.

▬ Tu peux parler, j'ai bien cru que t'allais m'éborgner.. Le vieux Raizō a de quoi être fier de cette nouvelle jeunesse, cria Ryū pour que ses mots lui soient audibles.

Un coup de poker. Ils n'avaient pas le choix s'ils voulaient les mettre dans leur poche. Raizō Senzen était un ancien soldat au service du clan Shinnin qui avait pris retraite dans les quartiers les plus nauséabonds de la ceinture noire et qui passait ses vieux jours à éduquer les jeunes voyous et autre orphelins de ces ghettos - lorsqu'il ne parlait pas à sa volaille. Élément oublié par les clans décideurs, mais vu comme une véritable figure paternelle pour les jeunes vagabonds de la rue. C'était lui qui, chaperonnant sa bande juvénile, lui avait initié à la lecture et aux arts de combats rudimentaires pour pouvoir survivre dans ces chemins tortueux. Il ne savait pas si ces jeunes garçons avaient aussi été pris sous son aile, ni même si le vieux était encore vivant, mais seul un véritable résident de la Ceinture Noire connaissait ce nom ; et c'était sa façon de montrer qu'il était des leurs. Plissant les yeux pour analyser sa réaction, il poursuivit.

▬ Écoute, on est vraiment désolé pour ton ami, mais on est à la recherche du groupe qui saccage le quartier depuis des lunes, et nous nous devions de nous assurer s'il était des leurs, ou s'il était simplement curieux. On ne lui veut aucun mal, ni à lui, ni à vous. Son sourire s'accentua, lui faisant comprendre qu'il savait pour les jeunes lurons qui se cachaient derrière lui. Au contraire, je pense même que vous pourriez nous aider ! La question reste encore de savoir.. Si on peut s'aider mutuellement ?

L'offre était sur la table. C'était comme ça que ça fonctionnait ici. Donnant, donnant. Il savait pertinemment que ce jeune bandit n'allait pas les aider gratuitement, et ils ne pouvaient pas ignorer l'aide d'autant d'oreilles et d'yeux.. Mais allaient-ils jouer le jeu ?

Le groupe de gamin s'était hâté de frapper tour à tour leur poing sur celui du Tekiya avec des étoiles dans les yeux, partageant son entrain et admirant sa ferveur - ce qui arracha un faible sourire à Sano, amusé par cette scène.

▬ Suivez-moi ! s'écria le jeune chef, après leur avoir expliqué la marche à suivre.


C'est alors dans une ambiance joviale que le petit groupe se dirigèrent vers la maison du leader. Leader, d'ailleurs, qui prenait cette petite escapade bien trop au sérieux en se donnant des airs de shinobi à avancer sur la pointe de pieds, à longer les murs et à lever le poing pour faire attendre le reste du groupe à chaque croisement pour vérifier qu'ils n'étaient pas suivis. Certains de ses compatriotes - et Ryū, aussi ridicule soit-il - se prêtèrent au jeu en suivant chacun de ses actes de discrétion surjoués ; devant la consternation des autres, et bien plus de Sano qui secouait la tête en voyant son coéquipier faire le pitre pour amuser la galerie. Ayant gardé son âme d'enfant, l'homme-bête s'entendait à la perfection avec le groupe de jeune délinquants :  leur racontant ses aventures, se prêtant à leurs jeux et autres facéties.

Ils étaient enfin arrivé, après de longues minutes d'amusement pour l'un, et de consternation pour l'autre. Tendant une oreille attentive, le jeune chef ouvrit finalement la porte, en accélérant le pas une fois passée.

▬ Vite, à l'étage ! Mère n'est pas là !

En se dépêchant plus que de raison, Ryū trébucha et roula lourdement dans le halle d'entrée avant de finir contre un mur, les quatre fers en l'air. Le groupe de garçon s'échangèrent un regard à mi-chemin entre l'amusement et la déception. Girō croisa les bras, et détourna le regard, un air renfrogné sur le visage.

▬ On pensait que t'étais trop cool mais t'es juste un bouffon en fait, hmpf. On devrait te retirer de la bande ! dit-il, accompagné par des hochements de tête frénétique de deux de ses compagnons qui finirent par l'imiter.


▬ C'est pas ma faute si vous laissez des trucs traîner partout, j'ai failli mourir à cause de vous ! rétorqua Ryū, étrangement vexé.

▬ Oh, ça suffit vous deux, on va s'faire repérer si vous continuez ! répondit le jeune leader sur un ton autoritaire en tentant tant bien que mal de couvrir sa voix.

▬ Pardon chef.. répondirent Girō et Ryū en cœur en baissant les yeux.

Pendant qu'ils s'installaient et que le groupe leur montre un portrait dessiné de Bō Takeshi que le chef avait sorti d'un petit coffre dont il avait la clé, Sano réfléchissait en se grattant le menton, silencieusement. Quelque chose n'allait pas. Son attitude, son être même, n'allait pas avec cet environnement. Et il le trouvait bien trop précautionneux. Ryū, lui, ne se doutait de rien, bien trop porté par le moment et son affection de ce petit groupe qui pouvait lui rappeler celui qu'il avait dans ses jeunes années. Ainsi, le cerveau des opérations s'approcha de son partenaire plus simplet, et lui murmura quelques mots sans le regarder pour ne pas éveiller de soupçons.

▬ Quelque chose m'intrigue.. Est-ce que tu peux sentir ces jouets, voir s'ils ont la même odeur que le petit ?

Ryū eut un réflexe interrogatif, mais il ne prononça le moindre mot. Il avait fait germer le doute chez lui. Feignant une surveillance extérieur, il s'isola de leur champs de vision, et entama une série courte de mudras.




Usant de son chakra pour développer son odorat et ainsi scanner la pièce, il put déceler la moindre trace olfactives qui y régnait, et s'il y avait beaucoup d'odeurs qui lui étaient étrangères, celle du gamin n'était pas présente. Sano avait raison. Ryū poussa un long soupir. Ce n'est peut-être qu'un détail, mais il n'était pas à omettre ; ils ne leur avaient pas dit toute la vérité. Il revint alors dans la partie de la pièce où ils étaient tous en jeter un coup d’œil discret à son partenaire, secouant très légèrement la tête de droite à gauche pour lui faire comprendre que, non, son odeur n'était pas présente. Sano ne put camoufler un claquement de langue intrigué. Mais avant même qu'ils ne puissent tirer cette affaire au clair, un nouvel enfant fit irruption dans la pièce.

▬ Les gars se sont défendus ! C'est un massacre ! hurla-t-il en cherchant son souffle.

Ryū se tourna instinctivement vers le jeune chef dont le visage se tordit en entendant le messager, et grimaça à son tour, par pure empathie. Sans plus attendre, il se hâta vers la sortie, suivit par toute son escouade ; et Ryū qui se hâta également.

▬ Hors de question que je vous laisse partir seuls ! dit-il en emboîtant le pas.

Mais Sano ne l'entendait pas de cette oreille et se saisit de son avant-bras pour le retenir. Coupé dans son élan, Ryū se retourna, sans dire un mot. Il savait pourquoi il l'arrêtait : il ne leur faisait pas confiance. Et c'était tout à fait légitime. Mais il avait confiance.. Même si ils leur cachaient des informations et/ou édulcoraient la réalité, ils n'étaient pas foncièrement mauvais. Il le sentait. Et c'était ce que soutenait son regard décidé et son mutisme. Sano finit par lâcher son bras dans un râle désapprobateur, avant de le suivre. Ryū lui rendit un large sourire.