Les paroles du Tout-Puissant font vibrer ton âme. L’onde de chakra t’extirpe hors de cette dimension onirique. Ton regard s’ouvre sur la Ceinture Noire. Tu n’es plus cette immonde bête, de toute évidence tu as repris conscience. Un assaut est porté contre la Doctoresse. Il est difficile pour toi de te concentrer, il y a tant d’informations à prendre en compte.

Lessivé, sans force, tu laisses ta carcasse choir au sol. Le sang coule. Les blessures te font souffrir.

Les sons comme les images se mélangent. Tu ne comprends pas. Perdu dans ce brouillard, tu abandonnes. À quoi bon continuer à vivre... Les dernières paroles de la déité se répercutent à l’image d’écho au sein de ton crâne. Tu n’entends plus que cela : « Le faux souverain n'est qu'un vecteur, un moindre mal. Des décennies avant votre premier cri, l'Ascension vous était destinée. Grandissez ; ou votre luxuriant jardin ne sera pas le seul à brûler. » Une fumée s’échappe peu à peu des pores de ta peau. Une dernière fois. Une ultime fois. Ta dextre se resserre. Avec un effort surhumain, tu t’arraches de ce smog violacé.

Ta tête tourne. Tu ne seras pas utile.
Un cataclysme arrive. Tu t’offres quelques claques pour te ressaisir.

Il faut faire vite, en tant qu’homme de main d’Azusa, durant un bref instant, tu sais qu’elle n’est pas la cible prioritaire à visée. Il faut anéantir l’ancre, anéantir le corps en formation devant eux alors que l’indifférence générale règne à son sujet. Tu cherches à te lever. Impossible. Tes jambes refusent de te porter. Tu n’es plus l’avatar des sombres desseins de l’Empereur-Roi. Tu es redevenu le faible et rachitique Eirei.

Une chaine perfore ton corps. Un lien éthéré. Ton énergie revient peu à peu. Ton ouïe revient, tout comme tes autres sens. Tu vois alors l’invraisemblable. Jin au côté de Seijaku. Azusa avec un bras en moins. De nombreuses personnes se faisant dévorer par la fumée qui se dégage d’eux. Ton corps quitte le sol. Tu vas de mieux en mieux. Toutes tes blessures se referment. Le souffle de la vie inonde ton être. Tu revis. Après plusieurs pas, tu reviens à l’endroit où le cercueil de Chakra t’a emprisonné. Ton arme traîne dans les décombres de la chaumière. Une dernière fois. Un dernier assaut.

Tu te concentres. Tu réunis ton énergie au niveau de tes cordes vocales pour hurler. « VISEZ L’ANCRE !! » Physiquement remis de tes blessures, la stigmate psychique est toujours ouverte. La blessure ne se résorbera jamais, pas après un tel contrôle. D’un mouvement de main, tu déplies ton couperet scie. Du sang d’innocent goutte. Tu retiens un haut-le-cœur. Vomir, tu te donnes envie de vomir. Comment as tu pu faire cela ? Tu te maudis intérieurement.

Ta dextre resserre le manche de l’arme. Tu n’as plus aucun contrôle de ton pouvoir ; tu ne peux compter sur une quelconque arcane liée au ninjutsu. Une profonde inspiration. Un air résigné. Dos à Azusa, dos à l’ancre face à elle, ton corps s’élance. Tu manques de tomber à plusieurs reprises, ta charge ressemble à celle d’un homme ivre. Tu titubes. L’espoir comme seul carburant, vous ne devez pas laisser l’ancre prendre vie.


Alors que tu arrives sous Azusa, tu bondis vers elle. Ton épaule gauche en avant, tu espères que le choc la fasse basculer vers l’avant, contre la fumée protéiforme. Alors que ton corps commence à retomber, tu te sers d’Azusa comme un tremplin pour viser ce que tu juges être le vrai ennemi. Face à la forme, tu abats à deux reprises ton arme contre celle-ci, avant que ton corps n’entre en contacte avec cette dernière.

Le grand recyclage de la vie continuait ses affres. Le trou noir impérieux, lévitant au cœur de la place, continuait d’absorber l’énergie vitale de ses proies. En l’absence d’aide, toutes les victimes de Seijaku – perforées par ses nombreuses chaînes – rendirent leur dernier souffle, autorisant cette puissance incommensurable à piocher dans leur corps et leurs âmes. Dans la fosse commune se rajouta @Haitatsu Hayai, son intégrité déchiquetée en mille morceau, tandis que la silhouette fumeuse gagnait toujours plus en ampleur. Sur les planches de ce théâtre à ciel ouvert survivaient seulement les acteurs Seijaku, Tsukuri Zōn, Tomoe Mirai, Shinonome Eirei, et Jin le Gardien.

Grâce à l'initiative de Seijaku de la Ceinture Noire, le Kabuki fut enfin libéré de ses chaînes de métal – même si le joug qui retenait son âme tenait toujours bon. Pris entre deux feux, entre rêve et réalité, entre servitude et émancipation, @Tsukuri Zōn ne savait plus où donner de la tête. Pourtant, il semblait calme. Sa silhouette n'était pas agitée. Il avait atteint la paix. Et ne semblait plus être dévoré. Au contraire ; ses yeux étaient grand ouverts au néant, emplis d'un halo de fumée violette émanant de ces orbites. Un regard aveugle menant sur rien.

De l'autre côté de la pièce, néanmoins, @Tomoe Mirai regagna sa liberté, l'emprise de l'Ancre se détachant de son âme. Hélas, son corps brisé l'empêchait toujours d'agir de son gré – même si Seijaku s’enquit de lui arracher cette épine du pied en dévoilant toutes les saveurs de sa bénédiction.

Vecteur d'héroïsme, le manipulateur de chaînes entrevit une opportunité de victoire. Il était celui qui pouvait sauver la Ceinture Noire – son foyer. Jin avait été d'une aide formidable, mais ça n'était plus son combat. Ce Gardien silencieux, trop discret, devait léguer son devoir de protection, et son flambeau symbolique, à la prochaine génération. Alors, sans même être certain de réussir sa prouesse, ni de survivre à cette utilisation massive de chakra, l'héritier Shinryo brûla sa vie par les deux bouts pour accomplir l'impossible. Il commença par réquisitionner toute l'énergie investie dans ses chaînes afin de n'en perdre aucune miette ; puis, confiant en l'avenir, il invoqua une myriade de maillons pour lier son être à tous ceux encore en vie – même si ça n'était qu'une question de secondes, désormais. L'entreprise était simple : se lier à la Doctoresse pour lui transférer les blessures de tout le monde, son propre corps servant d'intermédiaire dans ce flux de douleur insensé. Un moindre mal pour le salut de la Ceinture Noire. Mais encore fallait-il pouvoir atteindre Azusa, cachée derrière cette masse dense de chakra vicié. La chaîne éthérée de @Seijaku allait-elle pouvoir passer outre ce manteau ?

Cette interrogation n'incluait pas l'action désespérée du colosse libéré – @Shinonome Eirei. Contre toute attente, son humanité lui avait permis de se libérer de ses chaînes, la fumée l'ayant investi commençant à s'extirper de lui par tous les pores de sa peau, comme tous ses orifices. Son corps gonflé, musclé, commençait à choir, à tomber, et pourtant, il lui subsistait des vestiges de cette force surhumaine dont il avait pu profiter. Depuis la mort de son jeune fils, condamné par sa propre existence, la vie de l'alchimiste n'était que sacrifice et abnégation ; ainsi, il ne lui fallut pas réfléchir davantage pour sceller son sort. Le Dieu devait saigner. Profitant d'un sursaut de vigueur, rassemblant ses dernières forces en un ultime assaut, l'ancienne Ancre fonça vers la créature érigée pour l'abattre une bonne fois pour toutes. Peut-être que, à ses yeux, une simple balafre pouvait faire toute la différence, perturbant le cycle du Tout, déstabilisant cette construction effroyable de fumée à l'apparence d'un avatar.

Cela se rapprocha de la vérité.

Cette maigre faille – une vulgaire entaille comparée à la taille de l’Hercule de fumée – était la porte d'accès qu'il fallut à Seijaku pour concrétiser son plan. Sa chaîne éthérée s'engouffra aussitôt dans cette faille, tandis que le corps de son portier fusionna directement avec la fumée de l'Ancre, n'ayant pu s'arrêter dans sa charge aérienne. Au rythme des cris de douleur, la chair de @Shinonome Eirei se faisant dévorer par des millions de fourmis rouges, le héros de la Ceinture Noire projeta les souffrances de toutes les âmes piégées du foyer de contamination, dont celle de l'alchimiste devenu Tourment.

Même les plus antiques des sources de puissance ne pouvaient résister à cette invasion intrusive.

La douleur était telle, et les blessures si réelles, que l'esprit d'Azusa vrilla dans l'inconscience. Son corps appartenait désormais à l'Ancre et, devant ces dizaines de nouvelles voies d'accès au Tout, le Sceau développa un appétit sans pareille. Sombrant dans l'inconscience, la fatigue l'implorant de fermer les yeux, @Seijaku s'accrocha une dernière fois à l'image déchue d'Azusa. Le sang de la Doctoresse devint fumée ; son bras décroché disparut en poussière, à l'instar de son épaule grignotée. De l'intérieur, comme de l'extérieur, Azusa mourait. À petit feu. Le corps et l'esprit fragmentés. Hélas, le Tout avait besoin d'un vaisseau. Et ce vaisseau multipliait les trous dans son armature. Sans une intégrité parfaite, absolue, il ne pouvait y avoir d'Ancre. Fragilisée, elle allait rompre d'un moment à l'autre. Il ne fallut ainsi qu'une poignée de secondes pour atteindre le point de non-retour.

Sans maître, la puissance emmagasinée dans le Sceau explosa. Telle l'onde provoquée par la Doctoresse lors de l'arrivée des héros de la Ceinture Noire, le souffle percuta toutes les êtres vivants de cette place maudite, mais pas que. La quantité de chakra rivalisait avec celle du Nord, peu avant l'arrivée de l'armée d'animaux. Cette vague de puissance, tantôt responsable de la contamination de tant d'âmes, poursuivit son chemin jusqu'à la Ceinture Noire, les Ruelles de safran, la Panacée, le Quartier des épices, la Cour de l'Ascension, l'Atelier, la Forêt blanche, le Quartier des lumières, le Stade de l'Épreuve, le Théâtre de la Demi-lune, le Quartier des arts, le Kiosque, les Portes d'Or, la Vieille Ville, Asatsuyu no Sato. Seuls la Loge de Perfection et l'Hypogée furent épargnés.

La dépouille sans vie de @Shinonome Eirei traversa le décor, et un premier bâtiment. Son corps était redevenu l'homme rachitique emmitouflé dans ses amples atours. Son âme n'avait eu besoin d'aucune pierre Kai pour rejoindre la Lune. Comme lui, tous les corps et obstacles de la place furent projetés, une nouvelle fois, sur de nombreux mètres. Si @Seijaku n'était plus en mesure de constater cette violente poussée, ses muscles et ses os accusèrent néanmoins de violents heurts tandis que son corps roulait çà et là à la recherche d'un endroit où s'écraser. Jin l'avait rejoint. @Tsukuri Zōn et @Tomoe Mirai également. Tous étaient dans un piteux état, projetés contre le premier rang de bâtiment définissant la place. Mais ils avaient gagné. Au centre du champ de bataille, la silhouette de la Doctoresse s'était volatilisée. À la place, un Sceau baignait dans une épaisse mare de sang, couverte de lambeaux de peau, d'os, et de tissus de chair. Une stèle horrible pour une créature horrible.

Les yeux du Gardien, révulsés, ne laissant apparaître que le blanc de son âme, s'horrifièrent. Malgré la douleur, il voulait s'assurer d'une chose. N'était-ce qu'une bataille, ou la guerre ? Les mains tremblantes, il composa non sans mal une série de signes incantatoires, élevant ses sens au sixième. Mais le constat fut sans appel.

« Ce... n'est pas terminé... »

Jin s'écroula en avant. Tous étaient encore contaminés. La Troisième Ancre n'avait pas été détruite. Et la Première manquait toujours à la vue de tous, quelque part dans les environs de la Ceinture Noire – une condition sine qua none pour l'émergence de cette armée de servitude. Qui seront les héros de demain ? Seijaku deviendra-t-il le fer de lance de cette opération ? Pourra-t-il compter sur ces alliés de circonstance dans la seconde phase de la campagne purificatrice ? Comment se portera la Triade sans sa Seconde Tête ?

Pour le Quartier des épices, comme le village entier, ce fut le début d'une nouvelle ère.