Pénible retour à la réalité… Mon épaule démise me faisait souffrir le martyr. Combien de temps avais-je été inconsciente ? Les enfants ! Un violent choc contre le mur proche remis mon corps en bon ordre - m’arrachant un hurlement de douleur qui poussa quelques passants à me regarder avec pitié. Je n’avais pas de temps à leur accorder en explications. Possédée, en sang et en haillons, je fus dans mon havre en un éclair. La porte ne résista pas à la puissance de mon coup de pied, la barre servant à la maintenir close étant déjà brisée - mauvais signe. Entrant comme une furie dans la pièce, j’étais à la recherche du moindre signe de vie, hurlant à pleins poumons la myriades de noms de mes petits protégés. Plusieurs silhouettes au sol - adultes. Mes yeux peinaient à s'accoutumer à l’obscurité et ce fut une voix étouffée à l’étage qui me servit de repère. Alors que j’avalais les marches me séparant d’eux, la porte de ma chambre s’ouvrit - dévoilant Tsuyoshi. Il était l'aîné, le responsable en mon absence - déjà bien plus grand que moi à seize ans. Prise dans mon élan, je lui sautais au cou et mes bras l’enlacèrent - j’étais soulagée.

Pourtant, ce sentiment fut de courte durée - mes yeux captèrent l’éclat de larmes, puis celui de l’acier. Il portait mes gantelets de combat.

“Tsu, qu’est-ce qu’il s’est passé ?”

“Mirai…”


La bouteille de saké bon marché que je venais de boire se brisa contre le mur de la ruelle qui servait de cour à l’orphelinat, geste de désespoir accompagné d’un énième cri de douleur hurlé au ciel, aux dieux et à qui voulait bien l’entendre. Les voisins n’osèrent se plaindre, conscient que leur vie dépendait de leur patience. Toute la Ceinture pleurait ses morts et cela faisait à peine une heure que nous étions revenu de la forêt pour enterrer les nôtres. Quatre tombes. Nous vivions dans une endroit dangereux, aussi, je m’étais pensée prête à encaisser pareils malheurs.

Il n’en était rien.

Une silhouette osa m’approcher - il n’avait même pas encore dix ans.

“Madame Mirai… Vous auriez quelque chose à manger ?”

Les nouveaux orphelins du quartier s’était passé le mot et plus d’une dizaine d’enfants, qui m’étaient pour beaucoup étrangers, s’étaient entassé dans la ruelle conduisant à mon refuge - en quête d’un abri et de protection. Ils n’avaient encore guère l’âge de comprendre la douleur d’une mère en deuil, et je n’avais pas la force de leur refuser de l’aide malgré nos maigres ressources. Je pris sur moi de forcer un sourire, invitant le groupe d'égarés à entrer dans mon refuge. Je puait l’alcool et mes pas peu assurés trahissaient mon état. Où était Haru ? J’avais terriblement besoin de lui. L’information avait forcément dû atteindre l’Atelier, alors, pourquoi n’était-il pas déjà ici pour nous aider ? Mon coeur rata un battement. Et s’il lui était arrivé quelque chose ?

Jin était venu en personne à ma rencontre afin de me proposer de rejoindre ses justiciers - il en avait plus que besoin après la perte d’une partie de ses effectifs. J’étais sincèrement touchée, mais j’avais bien des choses à régler avant. Mes yeux cernés, mes traits tirés… Rien de tout ça n’avait dû lui échapper. Il m’accorda sans hésiter le temps de la réflexion, m’assurant qu’il s’occuperait de toutes les formalités auprès des Kodamas si je décidais de changer de camp - me promettant aussi un nouveau refuge pour mes protégés.

Le Gardien s’était probablement renseigné sur moi et la surpopulation de la pièce n’avait pas dû lui échapper. Moins de trente heures après le drame, je m'efforçais péniblement de faire survivre une vingtaine de réfugiés en plus de mes ouailles. Il me confia sans hésiter de l’argent pour m’aider - à bout, je ne pu m’empêcher de l’enlacer en pleurant.

Je ne voulais pas encore lui répondre, même si mon choix était déjà fait. La visite ne pouvait être que brève, il était débordé - Jin était le Gardien, et son territoire était devenu un champ de ruines.

De mon côté, je devais retrouver Haru. Peut-être que lui aussi rejoindrait le Gardien. Après tout, Jin était comme une idole pour lui !


Apprendre la mort d’Hayai, après avoir trouvé la boutique close en pleine journée, brisa une nouvelle fois mon moral précaire. Un habitant me jura avoir vu un homme, dévasté, quitter la Ceinture avec son corps en hurlant son nom - ce qui lui avait permis de l'identifier. Mon partenaire ne me donnait toujours aucune nouvelle et ma réserve de saké s’épuisait.

Grâce à Jin, je pouvais rester auprès des enfants au lieu de m’absenter plus de la moitié de la journée pour subvenir à nos besoins. Mais ce n’était qu’une solution temporaire - malgré l’argent que j’avais pu mettre de côté en servant les Kodamas, je n’avais guère de quoi faire survivre autant de monde bien longtemps, même en imposant un strict rationnement. Le coeur brisé, j’avais même été contrainte d’accepter l’offre des aînés de ma troupe - beaucoup de maisons du quartier étaient à l’abandon, aussi, ils jouaient aux pilleurs de tombe. Moi qui m’étais jurée de ne jamais en faire des voleurs…

Et pourquoi Haru ne me donnait pas de nouvelles ?

Enfin, j’avais eu l’occasion de me libérer assez de temps pour gagner la forêt blanche et me renseigner. Les aînés de l’orphelinat étaient à nouveau capables de prendre les choses en main, me libérant quelques rares heures depuis la catastrophe.

Les premières informations que je pus recueillir me nouèrent l’estomac : l’incident, le monolithe détruit, plusieurs disparitions… Et je n’étais pas au bout de mes peines. Mon coeur se serrait au fil de l’enquête : plusieurs témoins étaient formels, il était présent à la Cour de l’Ascension pendant le drame. Personne n’avait d’explication et joindre les officiels était impossible - eux même n’avaient de toute façon aucune réponse à donner. L'événement était tout bonnement surnaturel. Un rapport avec l’épidémie ? Non, le chakra ambiant était différent. Que s’était-il passé ici ? Je n’osais croire que personne ne savait rien. J’avais toujours craint les mystères du clan - mais celui-ci était de trop. Impossible de m’avouer la vérité : il était prisonnier ou mort.

Ren, le scientifique qui m’avait offert l’occasion de découvrir la pierre rouge, était coupable de trahison et à l’origine de la destruction du monolithe. Sa curiosité scientifique l’avait-elle poussée trop loin ? Si oui, avait-il été le déclencheur des événements ? Mais alors… Pourquoi était-il encore en vie, lui. Rendre visite à ce dernier était impossible mais je me fis la promesse de trouver un moyen de le contacter. Il était le seul à avoir les réponses que je cherchais. Et probablement le seul qui accepterait peut-être de me les donner. Pourquoi l’isoler, sinon ? Il m’avait semblé bienveillant et j'espérais alors de tout coeur que mon jugement n'avait pas été biaisé. Dans le cas contraire, j’allais me donner les moyens de le faire parler.

Par l’intermédiaire d’officiels du clan Shinnin, j’avais franchis le pas - indiquant au Gardien qu’il pouvait me compter dans les rangs de ses justiciers. Peu de temps après, un messager m’apporta une réponse : la procédure était lancée. Il m’offrit une missive attestant de la protection de Jin, dans le but de garantir l’orphelinat auprès des pontes du clan. Le geste était touchant même si sans Asuza, je ne craignais plus grand chose de ses anciens hommes de main.

Le document que je n'avais jamais été capable de lire attestant, lui, de mon ancienne affiliation, fut un parfait départ de feu pour le déjeuner.


Un nouveau messager, cette fois, me confia une lettre. Il n’était pas du clan, plutôt un indépendant payé pour l’occasion. L’envoyeur semblait ignorer mon illettrisme, pas une connaissance proche, donc. Peut-être s’agissait-il de nouvelles de Haru ? Fermant la porte réparée, ma détresse ne tarda pas à me trahir et un jeune réfugié prit le parti de se diriger vers moi, gêné.

- “Si vous voulez, je sais un peu lire Madame Mirai.”

- “Tu me sauverais.”

Son nom m’échappait, encore un nouvel arrivant. Peut-être de la veille, ou de ce matin ? J’avais perdu le compte. Madame Mirai, mon titre officiel pour toutes les nouvelles têtes de mon havre. Je me sentais si vieille, privée de temps pour faire mon deuil.

Il lui fallut plusieurs longues minutes pour me déchiffrer les quelques lignes de la missive - me dérobant un sourire alors que je songeais aux difficultés de Haru à ses débuts.

- “C’est un monsieur Ryomen Shiro. Il vous dit bonjour, il parle d’un ami Hayai qui aimait l’orphelinat. Il veut lui rendre hommage et il sait que les enfants comptent pour vous… Il vous invite à le rejoindre aux mille poissons dans deux jours pour parler du futur de l’orphelinat. Il est plutôt familier, il vous tutoie.”

- “Perdre un proche en commun, ça peut rapprocher les gens. Merci en tout cas, tu me sauve.”

Ma dextre lui ébouriffa affectivement les cheveux, puis il fila. Ryomen Shiro… Je ne le connaissais que de nom - l’employeur d’Hayai. Je n’avais jamais demandé à ce dernier si son supérieur savait qu’il nous offrait les restes du magasin mais j’avais à présent la réponse : oui. Je ne pouvais pas refuser l’offre, cette personne avait les moyens de soulager mes dépenses et j’en avais cruellement besoin ces derniers temps. Il semblait prêt à tendre la main. Je devais tenter ma chance.