Tête baissée, vision trouble.
En tendant plus encore l'oreille, pouvait-il les entendre plus précisément se moquer de lui ? Ils étaient trois, tous à priori plus âgés que lui de quelques années. Un trio estimant vraisemblablement que parmi le Festival des Sciences, Osamu constituait une attraction toute aussi curieuse que les autres. Ses dents claquaient. Ils étaient assez loin et ne se rapprochaient pourtant pas. Mais le piteux adolescent sombrait déjà dans les effets secondaires de la paranoïa ; comme humilié par anticipation ; il rassemblait ses forces et tournait alors les talons, ses sens toujours alertes bien que parasités par la honte qu'il ressentait en cet instant précis.

Il ne fréquentait réellement d'autres gens que depuis un an. Et à part un cercle très restreint, rares étaient ceux à connaître le son de sa voix ou s'intéresser à son histoire. Tant mieux, il ne voulait pas en parler, ne pouvait même plus. Souhaitait juste être heureux, sans qu'on fasse trop attention à lui.

Evidemment il ne s'agissait que d'un souhait utopique et pas forcément idéal, et ça ne pouvait certainement pas se passer ainsi. Shinryo Gentoki l'avait pris sous sa coupe certes par rapport à certaines attentes, mais maintenant qu'il occupait une place dans la société, la logique exigeait d'apprendre à vivre avec. D'où cette venue audacieuse au Festival. Rapidement transformée en errance, puis finalement en fuite.  

Puisque oui, le globuleux sous le stress s'était hâté de prendre de la distance. Une réaction disproportionnée puisqu'il n'avait encore rien subi, si ce n'est du commérage...
... fataliste. il le savait : il était faible, repoussant, inintéressant. Son salut s'obtiendrait dans l'action. Mais en dehors des tâches, comment faire pour ne pas s'exposer?

On le retrouvait alors bien plus loin, à genoux, mâchoire serrée. Il avait tant couru, toujours plus à mesure qu'il avait pu bousculer certaines personnes, qu'il en transpirait abusivement. Sa respiration bouleversant l'ensemble de sa cage thoracique à chacune cycle. Une main sur le manche de sa lame en fourreau, il grinçait des dents. Enrageant. Que pouvait-il faire ? Sortir son arme était interdit, et il s'agissait de toute manière d'une réaction beaucoup trop extrême. Pourtant il s'agissait de la seule occupant son esprit ombrageux. Ses seules réponses à la vie : Frapper sinon Fuir.

Que lui avait-on inculqué d'autres ?
L'insensibilité. Le stoïcisme. Un échec.
Ne restait qu'une peur panique omniprésente se retranscrivant à travers ses yeux de poisson mort.
Ainsi qu'une incapacité à se structurer tout seul. Il devait respirer... rester seul... ça passerait...

 

Respirait-il pour recouvrer ses forces ou pour évacuer son trouble ? La réponse était évidente, sauf pour ceux qui ne le connaissaient pas - Autrement dit tout le monde. Il s'agissait d'une crise comme le globuleux en avait vécu des centaines depuis qu'il avait sauté hors de son aquarium. Du mal-être et de la psychose, perforant son esprit telle l'intensité d'une piqûre de vive. De là, il n'y avait plus que le calme et la solitude pour l'apaiser, sinon l'épuisement jusqu'à ce qu'il s'éteigne.

Demain est un autre jour.
...
...

...

..............!

Une mélodie douce l'arrachait alors à son autisme momentané - Une voix. Brève mais suffisamment claire pour percer ses démons et le sortir de sa stupeur... ou plutôt l'amener vers une autre. Puisque cette écoute ne faisait qu’enclencher son processus de défense. Ni une ni deux, il pivotait sans que ses genoux ne se détachent du sol, alors qu'un son aussi net que fugace signalait qu'une lame sortait de son fourreau.
Du moins en partie.
Car aussi vite s'était-il conditionné à frapper, aussi vite s'était-il figé, dévoilant un visage terrifié.  

Sa dextre tremblait, ses doigts se relâchant et se resserrant d'une seconde à l'autre autours du pommeau. Croiser le regard d'autrui était une chose, mais le maintenir constituait une épreuve bien trop difficile pour le piteux protagoniste. D'autant plus lorsqu'il s'agissait d'une femme...
Cette dernière n'obtenait d'ailleurs comme réaction suivante qu'un gémissement aigu, difficilement interprétable.
L'instant suivant, Osamu frappait le sol de son front, laissant ses bras s'étendre à leur tour sans la moindre grâce. Il demandait pardon.

... j-Je Je je dois y ...  

La transpiration reprenait.
Il voulait partir, au plus vite. Néanmoins il sentait déjà l'écrasant regard de sa poursuivante - bien qu'il ignorait avoir été poursuivi, ayant surtout entendu le timbre de voix plutôt qu'écouté les paroles en elles-mêmes - et se savait fait comme un rat. De quoi devrait-il répondre ? Il avait bousculé des gens. Oui ça devait être ça. Il était désolé. Il devait lui faire comprendre. Et si ça ne marchait pas... mince...
Jamais. Il n'aurait jamais du prendre le risque de se balader au festival...

 

Autant les lames ne s'étaient pas exprimées, autant Osamu récoltait déjà une première entaille.
Puisque la retenue de son interlocutrice, même verbale, restait létale à l'encontre du pauvre bougre.

De telles paroles, il en avait entendu mille fois. Depuis lors, il n'en retenait plus que l'intonation et l'intention à l'image d'un corniaud pataud, passif dans sa bêtise. Difficile de déterminer si cela lui faisait mal, mais ce dernier obtempérant lentement. Se redressant, la mine basse, ses yeux honteux cachés par une tignasse semblable à du varech malgré sa propreté belle et bien avérée. Il respirait difficilement. Soufflant du nez afin de dissiper son stress.    
Venait-elle de lui passer la laisse, par cette simple phrase ?
Redressé oui, mais toujours à genoux. Hésitant. Le garçon cherchait ses mots afin de se confondre en excuses plus encore, mais n'y parvenait même pas. Une chose demeurait certaine, il évitait consciencieusement le regard. Seules ses lèvres entre-ouvertes indiquaient désormais son désarroi. Jusqu'à ce que quelque chose en sorte finalement.

j-je... qu-qu... que voulez vous..?  

Un bel effort. Une goutte tombait de sous sa frange, et on pouvait légitimement se poser la question de s'il s'agissait de larme ou de sueur.

J'ai dit... p... pardon... pardon pour... bousculade... ...  

Ses ongles grattaient la terre. Pourquoi n'acceptait-elle par ses excuses ? Son anxiété se renforçait, comme s'il réalisait que sa geôlière ne comptait pas le relâcher de sitôt. Sans doute souhaitait-elle obtenir quelque chose de lui maintenant qu'elle détenait le pouvoir ; le presserait jusqu'à la moelle. Ce nouveau problème lui faisait presque perdre de vue les raisons de l'ancien.
Il avait besoin d'air. Et il avait soif.
Son esprit ne lui accordait que la lucidité nécessaire pour concocter la suite de ses actions. Autrement dit, trouver une faille puis détaler de plus belle si cet avatar de la beauté le retenait d'avantage. Il n'avait ni le charisme ni le bagout de son côté pour expliquer un tel quiproquo, ni ne saurait s'étendre sur la raison d'être de ses troubles. Tout cela ne ferait qu'empirer une situation déjà assez délicate et suffocante en l'état.

Ses épaules se rabaissaient tout à coup, rapidement et sans crier gare, comme s'il allait effectuer quelque chose.
Mais rien, simple relâchement musculaire. Il abdiquait juste une fois encore, à nouveau voûté. Ancré dans ses tords.

Je peux p...partir?...  Soufflait-il de façon à peine audible.

 

Accusant le coup stoïquement puisque déjà trop abattu pour en témoigner d'avantage, il ne rompait son immobilité que pour se jeter avec vivacité sur la gourde qui roulait sous ses yeux. Osamu connaissait la soif, la faim, l'insomnie comme bien peu d'autres gens pouvait la connaître, si ce n'était ceux au passé terrible ; et si sa déshydratation actuelle s'avérait minime, sa réaction correspondait parfaitement à celle d'une personne terriblement assoiffée.
Son sabre continuait de coulisser - il n'avait même pas pris la peine de le rengainer tantôt lorsqu'il s'était mis en position de soumission - selon les mouvements secs de son abdomen, alors qu'il saisissait la gourde, l'ouvrant précipitamment et en buvant goulûment le contenu jusqu'à la dernière goutte. Son regard croisait par mégarde celui de son interlocutrice étant donné qu'il avait du lever le menton pour se sustenter. Il grimaçait. Savait que la pitié n'apportait rarement du bon. Elle le jugeait froidement et il devinait qu'elle n'avait pas apprécié de voir son eau disparaître dans sa totalité suite à une rasade aussi absolue.  

Peu importe. Dans ce genre de situation il récolterait tous les tords et ne saurait s'en protéger autrement que par ce qu'il faisait déjà : Se répandre en excuses. Même pas de ce qu'il avait fait ou non, mais seulement de ce qu'il était.

C'était injuste. Profondément injuste. Oserait-il le souligner cette fois-ci ? L'adolescent vitreux ne le faisait jamais, ou alors partiellement lorsqu'il ne lui restait plus vraiment de choix. Ici, la soldate ne semblait pas décidée à le laisser filer, son jugement semblait déjà fixé et la prochaine étape, s'il ne faisait rien, serait certainement défavorable à son encontre.

m...merci pour l'eau...Chuchotait-il, toujours d'un timbre aigu.  
... mais... c'est les au... c'est les autres... ils allaient me faire du...  

Il ne finissait pas sa phrase, se repliant une fois encore sur lui-même, accablé. Quand bien même la garde n'appréciait pas cette attitude et s'agaçait de ses suppliques, il ne savait s'exprimer autrement en l'état. Si elle avait eu pitié au point de lui offrir de l'eau, peut-être que cette même pitié lui permettrait de quitter cette forêt, ce festival.

je dois rentrer... maintenant... je dois rentrer... par pitié!... Insistait-il, comme si ce mot final prenait un tout autre sens, de sa bouche. Un mot commun et surtout nécessaire.

   
Toujours fermé, mine basse, l'Insignifiant serrait mollement la gourde dont il n'avait pourtant aucune nécessité contre son abdomen. Elle ne voulait plus la récupérer et lui intimait l'ordre de la garder, alors il le ferait afin de ne pas la contrarier...
... Sauf que cet énième épisode de résignation fut secoué par l'apparition d'une lame pointée en sa direction. Un sursaut, suivi d'un regard agité, nerveux, mais bien visible. On ne pouvait pas lui enlever : Le garçon détenait certains réflexes et une disposition certaine à réagir... même s'il ne le faisait pas et n'était plus tout à fait en mesure de prendre un quelconque ascendant si la volonté de son interlocutrice consistait à lui trouer la couenne.

Un ascendant dont elle comptait bien jouir au maximum. Non contente de le dominer physiquement elle ne lui laissait même plus le luxe de s'exprimer, ce qui n'était déjà pas une mince affaire de son côté. Elle le renvoyait à lui-même et, observatrice malgré son jugement sévère, le renvoyait à sa condition de combattant. Oui, tout comme elle, il possédait le daishō. Des pièces de bonne facture quoique simples dans leur esthétique, fabriquées à sa mesure d'ici qu'il hérite de celles frappées des armoiries Shoni.

Hélas pour Hanae, sa leçon amenée sur le ton de la provocation tombait dans le néant - Car dès la conclusion donnée, une lueur d'espoir scintillait dans les yeux de l'irrécupérable garçon. Il pouvait partir ?!
...
De sous sa tonne de cheveux, il zieutait en un éclair le minois de sa tortionnaire improvisée puis tel un crapaud, actionnait ses muscles pour bondir en arrière, une main maintenant la gourde et l'autre accompagnant son katana ballant dans son étui. Il tournait ensuite les talons puis: Rien.
Osamu s'était stoppé net.
Son dos exposé, il inclinait légèrement la tête. Un silence.  

... j...je ne suis pas un lâche...   Marmonnait-il contre toute attente, se faisant son propre avocat au gré d'une affaire évidemment désespérée. ... Je...    

Trop difficile. Ce soubresaut de contestation était une erreur. Il n'aurait pas dû. Il devait juste partir. Ne pas répéter la même bêtise que sa venue au Festival - Ce genre de lieux n'était pas pour lui. Comme elle le lui avait dit, comme on le lui avait maintes fois répété, il n'inspirait que le dégoût. N'attirait donc que les ennuis.
Serrant intensément la gourde contre son corps, le visage crispé et une rage invisible lui tiraillant l'estomac, il finit par craquer.

Le récipient tombait au sol.
Puis il s'éclipsait à toute allure, s'engageant plus encore dans le cœur de la forêt - La trajectoire opposée à son aînée.
Laissant cette dernière en plan, avec sa gourde polluant la pureté du lieu. Celle-ci n'était plus tout à fait la même maintenant qu'elle avait été salie. Des mots pas si métaphoriques que cela, puisque l’œil attentif de son ancienne propriétaire pouvait constater sans mal que la rouille du dit objet s'était entièrement propagée sur toute la surface. A croire qu'en l'effleurant du bout des doigts cette dernière serait capable de tomber en poussière...