Il était là, posé sur une chaise pliante, cigarette au bec, ses longs cheveux retombant sur son visage.   Qu’il revienne le voir, c’était une évidence, et au vu de ses dernières paroles à son égard, il ne faisait aucun doute qu’il lui avait mis la puce à l’oreille. Ainsi, il cherchait à en savoir davantage. Ses yeux bleus le toisaient, le provoquaient. Il avait très vite compris ce qui animait l’esprit de ce Tsukuri, un désir de reconnaissance profond, au point où le simple fait d’être de classe différentes suffisait à horripiler sa personne.

S’il savait.

Un nuage de fumée opaque s’échappa d’entre les lèvres du Shinnin. Il le voulait ? Eh bien, il l’avait trouvé. « l’Oisillon de Tsukuri. » Seijaku le saluait d’une main levée. « A trop traîner ici, tu finiras par y prendre goût. Peut être même que tu marcheras parmi nous, qui sait ? » Un léger rire brisa le silence instauré, puis, celui-ci se leva de sa chaise.

D’un signe de main, il lui fit signe de l’accompagner et sans attendre, il se retourna. Il s’avançait vers une porte gardée par un molosse, qui l'ouvrit devant Seijaku. Sur la pancarte du bâtiment y était inscrit ‘九三の暴力 Kyū san bōryoku’ et dès lors qu’ils y eurent pénétrer, un nuage de fumée quasi opaque s’échappa de la porte et tandis que le Shinnin pénétrait en ces lieux, il put offrir à Yuugen la vision de ce qu’était vraiment le quartier des épices.
Ici, tout se passait dans l’ombre, en apparence, ils n’étaient que de simples banlieusards démunis, mais en coulisses. Un bar secret, et plutôt select, aux ameublements classieux, digne de la classe supérieure. Ici aucune personne n’était munie de guenilles, un dresscode exemplaire avait été mis en place et hommes et femmes étaient vêtus de blanc et dans leurs dos trônait les caractères 静寂 (Silence) les quelques âmes présentes ici étaient dévouées à Seijaku et à la réalisation de ses projets, nul doute qu’à l’avenir, cette petite poignée se transformerait en légion.

Et à mesure qu’ils s’enfonçaient plus profondément dans le bar, les affaires du monsieur s’affichèrent aux yeux du Tsukuri. À sa droite, des bookmakers spéculant sur les côtes des paris truqués, à sa gauche, deux vieilles femmes, empilant les wèns mais surtout, le tael payé par Yuugen alors qu’il était à la recherche de Seijaku.

« Bienvenue dans mon humble commerce, Tsukuri. » Déclarait Seijaku, invitant son interlocuteur à prendre place dans l’un des fauteuils disposés en face d’un bureau fait de bois d’ébène. Pour marquer le coup, Seijaku ne prit pas place derrière le bureau, mais bien sur un fauteuil similaire. « Bien, j’espère que tu n’es pas venu pour une partie de dés, tu n’as rien à miser qui pourrait m’intéresser. »

Un air chaleureux animait le visage du Shinnin. Bien que les paroles de son interlocuteur sonnaient clairement comme des piques nauséabondes, Seijaku ne bronchait pas, se permettant de rire doucement lorsqu’il fit mention du gardien.

« Perché sur votre colline, vous n’imaginez pas une seconde ce que ceux qui possèdent la mentale sont capable d’entreprendre. Si je ne jouerais pas cet établissement, ce n’est pas par crainte. » Désignant ses employés d’un vif hochement de tête, il poursuivait. « C’est que chaque âme qui compose cet humble commerce n’a pas de prix. Bien sûr, pour quelqu’un comme toi, nourri blanchi et logé depuis le plus jeune âge… ces paroles n’auront aucun sens, mais pour moi elles en on. »

D’un signe de main, suivi d’un sourire, il accompagnait la demande du Tsukuri, que les breuvages coulent ! Cette discussion allait, de toute manière, durer encore un moment. Plongeant la main dans sa poche, il en extrait un paquet de cigarettes et alors qu’il venait de consumer celle qu’il tenait dans son bec, il en glissa une nouvelle dans le creux de ses lèvres, puis, il tendit le paquet en direction du Tsukuri. S’il n’en prenait pas, alors il se contenterait de hausser les épaules et de griller la sienne.

« Quant au gardien, ce serait le sous estimer de croire qu’il n’a pas connaissance de cet endroit. La triade a des yeux et des oreilles partout. À mon grand regret. » Il ri doucement, après tout, quelqu’un comme lui ne pouvait pas connaître les coutumes du quartier. « De plus, il connaît mes intentions, je n’agit que pour l’essor du quartier. »

Les breuvages finirent par arriver, pour le Shinnin, un café et un verre d’eau. D’ailleurs, il manqua de se brûler la langue à la première gorgée, la question de Yuugen avait eu le mérite de lui faire perdre son calme habituel. « Ce bon vieux Gentôku… Voilà bien des années que les Shinryo n’avaient pas été au cœur d’une de mes conversations. » Il s’enfonçait dans son fauteuil, frottant son menton, comme s’il était à la recherche de mots. « Disons que le monde auquel tu clame appartenir n’a aucun secret pour moi. Vos masques, vos us et coutumes… ta famille et moi partagions un point commun. » Ses jambes s’entremêlèrent, la posture du Shinnin se voulait droite, humble mais à la fois. Elle cherchait à le rassurer, comme si la réponse à la question n’était pas quelque chose qu’il souhaitait révéler. Après un long soupir, il poursuivit. « Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, tu peux remercier ton géniteur pour ça. Il n’aura fait que tremper le nom des Shinryo dans la boue… Ton attitude n’en est que le reflet. » Pour finir, il ajouta. « à vouloir voler trop vite, on en perds ses ailes. »

« Mais, je te l’ai déjà dit lors de notre première rencontre, n’est-ce pas ? » Écrasant ses cendres dans une coupelle en acier, le Shinnin saisissait une autre cigarette dans le paquet disposé sur son bureau. Il marqua une longue pause, le temps de l’allumer et d’inspirer une première bouffée… « Je suis Seijaku de la Ceinture Noire. » Un sourire en coin se décrochait sur le visage de Seijaku, l’air de dire que l’interrogatoire venait de se terminer de son côté. Son regard Azur se rapprocha de Yuugen tandis qu’il se penchait en avant sur son fauteuil, à la manière d’un prédateur prêt à bondir sur sa proie, la discussion allait prendre un nouveau tournant.

« Oublions toute l’histoire gravitant autour des Shinryo, tu n’es pas venu jusqu’ici pour me parler de tes problèmes familiaux, pas vrai ? » Passant une main dans ses cheveux, le Shinnin jouait d’une attitude décontractée bien que chacun de ses mots percutaient l’auditoire comme une détonation. « J’ai du mal à imaginer un Tsukuri qui traînerait dans le coin sans arrière pensée. Vous n’êtes pas les plus fervents de la cause du Ghetto, ou plus globalement, le quartier des épices. Qu’attends-tu des gens d’ici ? Qu’ils t’accueillent à bras ouvert ? Toi qui représentes tout ce qu’ils détestent. »

Pour faire redescendre la pression, Seijaku se mit à afficher un sourire assez chalereux, on ne sentait  aucune agressivité émaner de son attitude, il jouait avec un briquet dans sa main gauche et sirotait son café de la main droite tandis que sa cigarette reposait gentiment dans le petit cendrier.

« Alors, dis moi, Shinryo, en quoi puis-je t’être utile ? »