L’aurore et ses doux rayons perçaient le ciel voilé, laissant la chaleur tranquille de l’été s’installer dans le cœur des Kusajin. L’heure approchait, l’érudit, contrastant avec la quiétude saisonnière, commençait à angoisser : qui allait répondre à son annonce ? Allaient-ils être à la hauteur de ce moment historique ? Pouvait-il leur faire confiance ? Tant de doutes, d’incertitudes, de questions, Ren n’aimait définitivement pas cela. Un mauvais pressentiment se propageait dans sa chair, tel un frisson à l’origine inconnue. Cependant, il était trop tard pour regretter, il avait déjà placardé son texte sur les deux portes principales de l’Atelier, voilà 3 nuits. Le message était clair, poli et concis. Il l’avait même calligraphié avec sa plus belle écriture, ronde et fluette, espérant ainsi donner une impression noble et raffinée à toute cette requête. De plus, le souffle persistant qui le harcelait depuis sa trouvaille, ne voulait pas le quitter, il n’arrivait pas à s’en défaire, son sommeil et ses pensées en avaient été perturbés. Et cela pouvait se lire sur son visage quelque peu terne et fatigué. Cette fois-ci, il n’arriverait pas à dissimuler la vérité, son corps le trahissait pour la première fois. Pour chasser sa peur donc, il se récita mentalement les mots qu’il avait choisis avec soin et précision pour son appel à l’aide :

« Chers Confrères, moi Akemi Ren, Shosei du clan Kodama, je vous implore de bien vouloir m’aider. Il y a peu, j’ai fait la découverte d’un nouvel élément, encore inconnu jusqu’alors. En tentant de l’étudier, j’ai malheureusement subi un violent revers… J’ai surestimé ma force et mon génie, j’en acquiers une leçon bien amère. Si bien qu’aujourd’hui, il ne me reste que cinq éclats encore intacts et prêts à être soumis à toute sorte d’expérimentation. J’offre donc la possibilité à cinq d’entre vous de venir prouver vos capacités de savant et de dévoiler tous les mystères concernant ce cristal rougeâtre. Sous réserve de la présentation d’un protocole scientifique viable et d’un partage des résultats de toutes nos expérimentations, vous pourriez vous aussi entrer dans l’histoire et faire avancer la science d’un pas incommensurable, j’en suis sûr. Si vous êtes intéressé, venez à l’aube devant l’Atelier, d’ici trois jours, je vous guiderai vers notre laboratoire temporaire. Le clan Kodoma et moi-même comptons sur vous, Akemi Ren.»

Pourtant, cette démarche n’eut pas l’effet escompté. Le mercenaire à la cape noire n’était en rien serein. Alors, il se plongea dans la sophrologie, technique de respiration et visualisation apaisante. Étrangement, il remarqua qu’en maîtrisant son souffle, les vents qui l’agressaient depuis plusieurs jours se calmèrent, peut-être était-ce ça la clé de son problème. Il ne fallait pas tenter d’étouffer ou lutter contre, mais plutôt de les contrôler, de les faire siens. A ce moment précis, comme pour souligner le bien fondé de sa révélation, un halo lumineux réconfortant se déposa sur le visage du scientifique tourmenté. Il resta là, quelques minutes à profiter de la sérénité et de la caresse bienvenue de l’astre solaire.

Soudain, des pas commencèrent à se faire entendre. Peut-être était-ce les premiers érudits ? Sans attendre, le fier mercenaire ajusta sa tenue et se recoiffa, cherchant à donner la meilleure impression qui soit. Il guettait les alentours cherchant qui seraient les Élus choisis par le destin pour l’accompagner en ce jour capital. L’avenir du clan Kodoma pouvait potentiellement se jouer en ces lieux et dans les heures qui allaient suivre. En préparation de ses futures rencontres, il sourit chaleureusement, main dans le dos prêt à ouvrir les bras pour saluer ses camarades. La bienséance devait primer sur tout le reste, l’angoisse, la fatigue, la peur. D’une voix douce et réconfortante, il salua les premiers venus.

- Bienvenue à vous, êtes-vous les Élus qui poussé par la curiosité ont décidé de répondre à mon appel ? Je suis ravi de vous accueillir, moi, Akemi Ren, Shosei du clan Kodama.

Une vénérable et respectueuse révérence ponctua ces dires, puis il se releva faisant face aux premiers venus.

- Suivez-moi, je vous amène à notre lieu de travail, nous y seront tranquille et coupé du monde. Sans vous faire attendre d'avantage, je vais vous présenter les éclats en question. J'attends donc de vous du professionnalisme et de la rigueur, nous devons à tout prix déceler tous les secrets de ce cristal. Au vu de sa nature inconnue, il serait préférable pour tout le monde de ne pas entrer directement en contact avec, prenez vos précautions et faites attention à ne pas toucher, inhaler ou ingérer ce bien rarissime. Qui sait, peut-être est-ce mortel pour l'être humain.

Il marchait d'un pas déterminé, faisant dos à ses futurs collègues et les guidait sans peine vers un immense laboratoire, à la pointe des avancées scientifiques de l'époque. Puis, il s'installa derrière un bureau d'où il pouvait garder un œil avisé sur tout ce qui se passait dans la pièce, ainsi rien ne lui échappera. Rapidement, il sortit de sa poche un parchemin et libéra le sceau. Un bocal contenant six morceaux de cristal surgit du néant, un pour chaque érudit présent dans la salle normalement. Il était prêt à entendre les propositions de chacun et à distribuer son précieux.

Au moment où je poussais les épaisses portes de l’atelier, je regrettais déjà d’être venue me ridiculiser. La demande de Haru, répété par un messager des Kodamas, n’était pas des plus clair : venir le rejoindre à l’atelier à une heure précise pour rencontrer quelqu’un et faire des expériences avec mon don. Sachant à quel point mon précieux ami travaillait pour débarrasser la ville de la “malédiction”, je n’avais pu refuser - et c’est aussi pourquoi j’évitais de lui répéter mon avis sur la question, moi qui pensais tout l’inverse et espérait, muettement, que ses recherches n’aboutissent jamais. Retourner à la case départ ? Perdre tous ces nouveaux horizons ? Jamais.

Il y avait quatre personnes et un drôle d’animal sur place. La disposition de l’équipe me permis de déduire qui était la personne à rencontrer et, par instinct, je me glissais aux côtés de mon camarade en silence - écoutant sagement les autres parler.

Tout le monde semblait proposer des idées - si la première était digne de Haru et la seconde, plutôt étrange malgré le caractère haut en couleur du personnage… Je ne compris rien à la dernière. Composition chimique ? De quoi il parlait… Je sentais ensuite que c’était à moi de justifier ma présence ici, il fallait que je dise un truc, sans passer pour une sotte…

- “On m’a demandé de passer ici pour faire des essais avec ma bénédiction, j’imagine que c’est pour tester la résistance de ces éclats ou leur capacité à…”

Je n’avais pas les mots pour traduire l’idée que j’avais en tête - mais je décidais de me jeter à l’eau.

- “Leur capacité à transporter, contenir ou amplifier mon pouvoir. Il est simple à transmettre dans quelque chose.”

Guettant un geste ou un mot de mon ami en espérant n’avoir rien dit de stupide, je priais au fond de moi avoir bien compris les explications du scientifique en face de moi, et ses intentions. Sinon, j’avais fait le trajet.

Impressionnant, l’appel du Shosei avait fait mouche, en quelques instants seulement, le laboratoire privatisé recueillait cinq Kodama et… un chien ? Il s’attarda sur cet invité surprise quelques instants, essayant de passer outre son apparence hideuse et peu propice à l’empathie. Non, ce qui intéressait le scientifique, c’était le contenu de l’écrit épistolaire qu’il tenait proprement en bouche. Après lecture, il en ressortit que le maître de l’animal était quelque peu culotté et intriguant. Ce fameux Shinonome Eirei captiva la curiosité de l’érudit. Fallait-il croire cette histoire de maladie ? Fallait-il lui faire confiance et lui donner un éclat sans avoir la moindre possibilité de contrôler ses recherches ? Cependant, pas le temps de réfléchir à cela pour le moment. Les êtres présents en chair et en os commençaient à étayer tour à tour leurs projets, leurs questionnements, leurs envies. A dire vrai, même si certaines idées étaient originales comme celle de Tengen, d’autres lui semblaient plus dangereuses et risquaient de révéler à ces grands penseurs la capacité d’éveil du joyau. Néanmoins, il était bloqué, il n’avait aucun autre argument pour les empêcher de pratiquer des tests comme ceux de Sadaharu ou Mirai.

Ainsi, acculé, il ne pouvait qu’avancer et laisser les choses se faire. Il commençait à perdre le contrôle sur son expérience, il le savait. Mais peut-être que ceci était nécessaire pour faire avancer les connaissances humaines. Se ressaisissant, il releva la tête du bout de papier qu’il fixait depuis un bon moment déjà et observa ses collègues. Par quoi commencer ? Comment les orienter ? Comment parfaire leurs protocoles de recherches ? Sans perdre un instant de plus, il prit sa voix la plus douce et la plus solennelle afin de dévoiler la suite des évènements.

- Bien, je vous invite à rejoindre une paillasse chacun, je viendrais vous trouver en aparté pour que l’on approfondisse vos méthodes de travail, détermine le matériel qui vous serez utile et surtout pour qu’on minimise les risques au maximum, je ne souhaite la mort de personne, ce serait profondément regrettable. D’ailleurs, si des gens parmi vous maîtrisent les premiers soins qu’ils se tiennent prêt à intervenir.

A cet instant, il regarda avec insistance le balafré et la jeune demoiselle, c’était eux qui allaient être les plus exposés. Une pointe de compassion, feinte à la perfection, pouvait se lire dans son regard.

- Quant à ta remarque, jeune inconnu, je peux t’affirmer que ce joyau est d’origine naturelle. En effet, j’ai découvert ce bien dans le cadavre d’un cerf blanc dans la Forêt Blanche. Bien entendu, je ne peux affirmer ou infirmer la nature profondément minéral ou bien lié à la production organique d’une créature atypique et rare. Cela restera un mystère tant que d’autres cristaux comme ceux-ci ne seront pas trouvés. Car oui, je suis sûr que Dame Nature nous réserve encore beaucoup de mystère. Bien, je vois que tout le monde est prêt à commencer, je vais faire un tour de table pour que tout soit clair et qu’aucun doute ou malentendu se présente.



La première personne à avoir le droit à un entretien privé fut le médecin aux cheveux argentés, au vu de ses propos, il avait une vraie conscience professionnelle et un bon bagage scientifique. Néanmoins, Ren ne savait pas vers où le diriger, il n’avait pas perçu de plan clair et travaillé. Pourtant, même si cette situation l’agaçait, il prit sur lui et essaya d’être le plus aimable possible.

- Dis-moi, as-tu une idée de ce que tu ferais avec cet éclat ? Des tests géologiques ? Biologiques ? Changer son état, en déterminant le moyen de le faire entrer en fusion ou en sublimation ? Cette dernière tâche, par exemple, serait très utile pour ce qui attend Sadaharu-san… Mais je te laisse le choix de ton expérience, voici ta pierre, ta rigueur et tes connaissances ne sont pas à prouver. Je te fais confiance, l’important est de garder une trace de toutes tes découvertes, pour le bien du clan. Ah ! Et tu trouveras toutes les protections nécessaires sous ton bureau, bon courage.

En réalité, il ne faisait pas vraiment confiance en son comparse, mais si sa mémoire était bonne, il s’agissait d’un protégé de l’alchimiste en chef, Arai Kisaragi. Son talent devait donc être légitimement à la hauteur du moment.



Par la suite, il rejoignit son ancien partenaire de mission, Ameyūri Tengen. Le saluant avec plus de courtoisie que son prédécesseur, il arbora un ton amical et un sourire chaleureux.

- Tengen-san ! Je suis ravi de travailler à nouveau avec toi. Alors comme ça, tu veux user de ton sang pour tester les propriétés de cet éclat ? Pourquoi pas ! Mais un conseil, protège toi, tant qu’on ne connaît pas la dangerosité de ce minéral, tout peut être possible. Tu as à ta disposition gants, lunettes et masques, on n’est jamais trop prudent. D’ailleurs, je te conseillerais d’y aller doucement, augmente le volume de sang au fur et à mesure, avec de la chance si le cristal réagit mal, les conséquences seront minimes.

L’homme à la cape noir n’éprouvait pas un réel intérêt pour cette expérience, mais bon, sait-on jamais, cela pouvait peut-être révéler des propriétés dormantes de la pierre. Bien, au suivant ! Ou plutôt à la suivante.



Même s’il était d’ordinaire très galant, il avait fait une entorse à ses règles en n’abordant la gente dame qu’en troisième position. Pourquoi ce délai ? Car il ne connaissait ni sa « bénédiction » ni le potentiel du cristal à devenir un catalyseur. Il allait falloir être extrêmement prudent et limiter les dégâts si une réaction chaotique avait lieu.

- Madame, c’est très louable de votre part de vouloir ainsi user de vos capacités pour rendre service à la science, je vous en suis très reconnaissant. Néanmoins, je vous préviens, nous ne connaissons que peu de choses sur ce joyau, il va falloir vous montrer très prudente lors de vos essais. J’imagine qu’il va vous falloir un contact direct pour user de votre pouvoir ? Il n’y aucun moyen d’éviter cela ? Je ne sais pas ce qui peut vous arrivez si vous essayez d’user de cet éclat comme d’un catalyseur, cependant, je vous conseillerais de le casser et de n’utiliser votre don que sur une partie infime, cela devrait réduire les risques. Protégez votre visage et votre corps au maximum, je ne voudrais pas que vous vous blessiez gravement dans votre essai, tout est dans votre bureau. Dans tous les cas, voici votre sujet de tests.

Comment allait-elle réagir à l’éveil de son affinité au contact de l’éclat ? Cette question angoissa le trentenaire, tout ceci ne lui plaisait pas. Mais il était coincé, son secret allait être révélé et quelles en seront les nombreuses conséquences ? Pourtant, pas le temps de se laisser happer par la peur, il avait un autre érudit à guider.



Sadaharu était l’individu qui mit le plus mal à l’aise Ren. Ses arguments étaient implacables, impossibles à contrer, l’homme tatoué devait se plier à ses volontés. Il ne laissa rien transparaître mais, il était plus qu’agacé par la situation.

- Sadaharu-san, heureux de te revoir. Si tu dis vrai et que ton corps peut résister aux poisons, alors je ne peux pas t’empêcher de tenter ta chance. Cependant, je pense que le mieux serait de modifier l’état physique de la pierre pour tester les différents moyens d’inoculations, décoctions, inhalations, intraveineuses et les effets, à petite dose, de ce nouvel élément. Si tu penses que ce travail préparatoire est trop lourd pour toi, je pourrais t’apporter mon expertise et mes humbles compétences. D’ailleurs voici ton éclat, espérons que tu es suffisamment de matière pour tester tes théories.



Voilà, il venait d’aider au maximum ses petits compagnons de recherches. Anxieux et appréhendant les diverses découvertes, il retourna quand même à son bureau pour répondre à la missive du malade. Quoi dire ? Quoi faire ? Il était perdu, confus, épuisé par l’intense réflexion que tout ce travail lui demandait. Ne voulant pas surinterpréter et chercher un conflit inutile, il prit un parchemin et de sa plume la plus légère, il répondit positivement à l’absent.

« Destinée à Shinonome Eirei,
Délivrée par Akemi Ren.

Cher Confrère,

Je comprends votre situation. De primes abords, je n’aurais sûrement pas accédé à votre requête. Mais le progrès et la science nécessitent de prendre des risques, je ne peux pas par simple question d’ego entraver l’avancée des recherches autour de ce mystérieux cristal.

Bien entendu, l’échange de nos connaissances respectives est essentiel, je compte donc sur vous pour me transmettre vos travaux et vos résultats. En contrepartie, je vous tiendrais au courant de façon fréquente de l’avancée de mes expérimentations. Ainsi, aucun parti ne sera lésé. Forgeons avec cet écrit, une relation durable et fructueuse. Que l’on puisse découvrir toutes les vérités de ce monde.

Quant à votre maladie, je puis vous assurez que si je trouve la moindre information permettant votre guérison, je m’attellerais à vous la fournir. Je ne puis accepter qu’un esprit savant ne meurt sous le joug du caprice de Dame Nature.

Cordialement,
Akemi Ren »

L’écrit lapidaire étant fini, il disposa la lettre maintenant scellée devant le familier de son comparse, qui s’en saisit. Puis, tout en se relevant et se tournant vers ses collègues scientifiques, il fit une dernière annonce :

- Si vous avez besoin de moi, je suis à votre disposition, je ferai tout mon possible pour vous aider.

En réalité… Je n’avais pas compris les avertissements du maître d’orchestre de l’expérience. Je n’avais jamais participé à la moindre démarche scientifique et il ne s’agissait que d’un caillou. Certes, la pierre semblait précieuse - à l’instar d’un rubis, mais quoi de plus ?

Trouvée dans le cadavre d’un cerf blanc hein ?  Production organique d’une créature atypique et rare ? Traduction : il s’agissait de la bouse d’une créature hors du commun ? Je m’imaginais alors une sorte de gros monstre de pierre mouvant, dévorant des cailloux pour produire des pierres précieuses à la sortie - une image pour le coup tout à fait atypique et rare.

Éviter un contact direct… En théorie oui, j’en étais capable - faire passer mon énergie par le gant dans la pierre était possible mais bien moins pratique que de le faire depuis mes doigts.

- “Ne vous inquiétez pas, je suis une grande fille, je vais m’en sortir.”

Il fallait que je donne le change un minimum - toute cette histoire commençait à me rendre curieuse, d’autant que tous les autres semblaient prendre l’affaire très au sérieux. Je m’abaissais au niveau de la table pour regarder l’éclat qui m’avait été confié… Définitivement, la pierre était plutôt jolie et inoffensive. Dans le doute, je regardais les autres faire un instant. Me saisissant finalement des outils à ma disposition, je brisais maladroitement la pierre en trois fragments - avant d’en saisir un entre mes doigts.

Si Haru venait de l’avaler, ça ne devait pas être si dangereux que ça et puis… Ce n’était qu’une pierre. Du moins, dans ma théorie.

Une curieuse sensation, l’ouverture de quelque chose et l’éveil d’une force enfouie. Déposant l’éclat sur la table avec douceur pour ne pas me faire remarquer - je gardais mon sang froid tout en épongeant mon front d’un revers de gant. Ces idiots me mettaient une telle pression sur les épaules avec toute leur prudence que j’angoissais pour rien. Du bout du doigt, je me décidais à toucher de nouveau la pierre - rien. Merde, qu’ils étaient stressants ces scientifiques…

Prenant un éclat entre mon pouce et mon index, je m’éclipsais dans une pièce vide. Même si la curiosité écarlate ne changeait pas l’effet de mon pouvoir, je préférais épargner le bruit de mon petit tour aux autres, en pleins travaux. Injection de l’énergie, je jetais alors le cristal à l’autre bout de la pièce en me couvrant le visage - juste au cas où.

Inquiet, angoissé, sur les nerfs, voilà l’état d’esprit dans lequel était plongé le trentenaire. Observant, avec beaucoup d’attention, les alchimistes présents dans la salle, il souhaitait ne rien perdre de leurs diverses expérimentations. D’un œil quelque peu paternaliste, voire professorale, Ren guettait le moindre risque, le moindre contact, le moindre éveil. Son secret allait bientôt être découvert, comment ces mercenaires allaient réagir à son mensonge ? La peur commençait à jaillir et à ronger son être. Peut-être que cette idée n’était pas aussi bonne qu’il l’avait imaginée. Cependant, il était trop tard, il fallait se résoudre au fait qu’il allait devoir davantage se dévoiler, surtout que l’un d’entre eux allait consommer des morceaux du cristal donné, ce fameux Sadaharu. Cet homme était véritablement intrépide et plein de surprises.

D’ailleurs en balayant la salle de son regard avisé, il vit l’alchimiste préparer sa pilule, son compte-rendu serait particulièrement intéressant. Il sera le seul autre être à la connaissance de l’archiviste à s’éveiller. Il l’inspecta du mieux qu’il pouvait, essayant de déterminer si lui aussi allait devenir sensible aux « murmures du vent ». Néanmoins, il ne pouvait pas se contenter d’observer un seul de ces scientifiques, cela paraîtrait suspect. Ainsi, il continua sa ronde, en faisant attention de garder le balafré, assis à présent, dans son champ de vision. Soudain, sans prévenir une ombre se déplaça. Tournant la tête par instinct, il vit l’inconnu à la chevelure argentée partir après avoir lancé une tirade bien virulente. Désarçonné et ne comprenant pas réellement sa réaction, l’archiviste resta paralysé. Il sentit que ce n’était pas la peine de courir après cet électron-libre. Il aurait peut-être dû attendre avant de lui donner un éclat, mais il était trop tard pour avoir des regrets. Ren gardait espoir, s’il s’agissait d’un véritable scientifique, sa curiosité et son honneur le feront revenir. Pourtant, son orgueil était un peu piqué au vif, une envie de remettre à sa place ce fougueux personne le démangeait à présent. Bref, pas de temps à perdre, il fallait continuer l’inspection. Se fut au tour de Tengen, son ancien compagnon de mission, verser son sang sur le cristal, clairement pour l’investigateur de cette grande recherche tout ceci n’allait amener qu’un statut quo, pas la peine de s’attarder sur ces travaux. Bien tenté mon ami, mais ce n’est pas ainsi que la pierre te révélera ses secrets, pensa-t-il de façon arrogante. Un petit sourire se dessina sur les lèvres du savant, tout ceci l’amusait, en fait, peut-être devrait-il devenir enseignant, cela avait l’air plutôt amusant de diriger d’autres cerveaux ingénieux. D’ailleurs, la dernière personne à surveiller fut la jeune demoiselle, l’homme tatoué devait bien avouer qu’il était curieux de voir la nature de son pouvoir. De loin, pour ne pas la perturber, il analysait tous ces faits et gestes. Il la vit prendre un morceau de pierre à pleine main, contrairement aux indications, et se ruer dans la salle où étaient stockés les instruments des laborantins. Pourquoi faire ça, quelle était la nature de son pouvoir ? Puis, il la vit sortir rapidement et s’en suivit une explosion. Une détonation particulièrement forte se fit entendre et sentir. Surprise et effroi saisirent le chef d’orchestre de cette étude. Il accourra dans la pièce et constata les dégâts, plus de peur que de mal, quelques verreries brisées, des étagères cassées et carbonisées par endroits, rien de grave donc.

- Jeune demoiselle, vous avez eu un bon réflexe… Même si je vais devoir sortir l’argent pour rembourser le clan… Mais bref, ce n’est pas ça l’important ! Nos recherches avancent et c’est le principal !

Etrangement, il n’était pas énervé contre elle, aucune réprimande ne venait. En fait, la découverte d’une telle propriété était particulièrement intéressante. Il était ébloui, pas d’humeur donc à briser cette atmosphère euphorique. Un sourire immense était figé sur son visage, quelle extase. Il retourna dans la pièce où ses collègues s’affairaient à leur expérimentation, quand il aperçut le savant en fuite accompagné de deux rats… Alors c’était ça, l’essai sur des animaux. Bien pensé et précautionneux, vraiment, il était digne de son rang de Shosei. Il souriait d’autant plus belle, il était vraiment entouré de gens brillants, il jubilait. Ne pouvant pas distinguer tous les résultats de là où il était, il reprit sa place, face aux autres, sur le piédestal.

- Chers Amis, n’est-ce pas merveilleux ? Nous allons entrer dans l’histoire des sciences ! Cette réaction que nous avons découvert grâce à vous, jeune inconnue, c’est tout bonnement ahurissant ! Merci d’avoir répondu à mon appel, sans vous ceci n’aurait jamais été découvert ! D’ailleurs, où en êtes-vous les autres ? Pouvez-vous nous résumer l’aboutissement de ces premiers tests ? Avez-vous des théories ? Vous reste-t-il des bouts d’éclats à exploiter ?

Son excitation et sa joie étaient flagrante, pour une fois, il était totalement honnête et sincère. Le savoir le passionnait et toute découverte le rapprochait d’un orgasme intellectuel sans commune mesure. Emporté par l’emphase de ce moment, il crut bon de mettre ses camarades de jeux dans la confidence.

- Au fait, je tenais à vous présenter mes excuses. Je crois bien que j’ai omis de vous faire part de quelques découvertes que j’ai faites de mon côté. Voyez-vous, deux d’entre vous, vont assister à un phénomène étrange et dont moi-même, je n’ai pas toutes les clefs de compréhension. Je ne sais même pas si vous allez subir les mêmes effets que moi… C’est pour cela que je vous l’ai caché. J’avais peur que cela ne dégénère, ne vous nuise, ne vous fasse perdre la tête. C’était ça, le véritable danger. Comment ce « pouvoir » allait se manifester chez vous. C’est une expérience très troublante, croyez-moi. Dans mon cas, j’ai développé une « affinité » nouvelle, en plus de mon don d’élu. La voici.

Fermant les yeux, essayant de contrôler sa respiration, le maître de cérémonie préparait son spectacle. Il ne maîtrisait pas encore totalement les éléments et « l’air du vent », mais cette démonstration devrait suffire à faire comprendre la nature de cette nouvelle « mutation ». Lentement, des volutes, puis des courants tournoyant se formèrent autour de la main tendue de l’archiviste. Tout était instable et demandait une grande vigilance, Ren n’était qu’aux prémices du contrôle de l’art du fûton. Après quelques minutes de présentation, il mit un terme à son tour. Il était temps de reprendre la parole.

- Voilà, je ne sais pas si c’est l’unique pouvoir que peut procurer cette pierre. Je ne sais même pas si vous partagerez le même sentiment que moi. De ma propre vie, je n’ai jamais ressenti un pareil « éveil ». C’était comme si un pouvoir présent en moi depuis toujours, c’était dévoilé. De plus, j’ai acquis un sens particulier, je suis plus sensible au vent, à ses fluctuations, à ses variations. Encore une fois, nous marchons dans l’inconnu total. Je ne voulais pas vous exposer à quelque chose d’aussi profond, sans être sûr que vous pourriez le supporter. Je suis encore une fois désolé de vous avoir menti. Gente demoiselle, Sadaharu, je ne sais pas ce que l’avenir vous réserve, mais soyez prudent et à l’écoute de votre environnement. Chez moi, cela a pris quelque temps avant que je saisisse tout ceci. Quant aux autres, je vous laisse le choix, soit de toucher ces éclats rouges, soit de rester loin d’eux.

Sa repentance était sincère et à fleur de peau. L’immense ivresse, qu’avait apportée ces études, avait poussé à Ren à s’ouvrir aux autres plus que de raison. Peut-être devenait-il plus sensible, moins froid et pragmatique. Serait-ce à cause de son « éveil » ?

- D’ailleurs, si certains d’entre vous veulent continuer les essais, c’est tout à fait possible ! Et pour ceux ayant tout utilisé, mutualisons et aidons-nous. Formons un groupe uni, solide, un pilier de notre Clan. Avançons encore plus loin, rentrons dans l’histoire avec un grand H ! Allez-y proposer vos idées !

Woaw… L’explosion provoquée n’avait pas manqué de panache. Pour une si petite dose, l’explosion avait été amplifiée de façon surprenante. J’étais plutôt contente de mon petit tour, au moins, je servais à quelque chose ici ! Même si j’avais un peu abimé le matériel de la pièce… C’était pour la science, non ?

Le scientifique qui nous avait invité alla dans ce sens - j’étais soulagée de ne pas avoir fait une trop grosse bêtise. Alors que notre hôte se retournait vers tout le monde pour une longue tirade, je retournais à ma table d’atelier pour me saisir des deux morceaux restants - me décidant à en garder un entre mes doigts tout en cachant l’autre entre mes seins. Juste à temps pour apercevoir la scientifique faire étalage de ce qu’il qualifiait comme un nouveau pouvoir. Mes cheveux cascadèrent alors que ma tête penchait sur le côté - c’était donc ça l’étrange sensation que j’avais eu… J’étais partagée entre la colère face à ce secret et la joie de savoir que j’allais élargir mon éventail de possibilités. Plus mon pouvoir serait puissant, plus je pourrais protéger les miens.

Finalement, ce fut la gratitude qui prit le dessus. M’inclinant avec politesse comme on me l’avait appris, je répondit :

- “Merci beaucoup pour votre confiance et pour nous avoir permis à nous aussi de développer un nouveau don des dieux.”

Alors que je me redressais, Haru m’approcha, beaucoup trop… Enjoué ? Diantre, mais que lui arrivait-il. Ses pupilles, son comportement… Était-ce la pierre qui le mettait dans un état pareil ? Je ne m’inquiétais pas trop pour sa santé cependant - si quelqu’un pouvait bien récupérer de ça, il s’agissait de lui. J’allais devoir le garder un peu à l’oeil - d’après le scientifique, lui et moi devrions bientôt devenir plus sensible à notre environnement, même si j’ignorais encore ce que cela voulait dire. Le voir ainsi me figeait un tendre sourire sur le visage. Lui qui était si sérieux, si adulte… L’euphorie semblait le ramener quelques années en arrière - avant qu’il ne se mette en tête de devoir sauver le monde. Dans un état pareil, il était hors de question pour moi de le décevoir.

- “En avant Haru, allons dans la cour pour la suite ! Ne dévastons pas le laboratoire.”

Mon bras passa autour de son cou alors que je le tirais vers moi pour l’embrasser sur la tempe, complice et amusée. Mais nous ne pouvions pas abandonner les autres, même si mon compagnon avait envie de jouer.

- “Il m’en reste un peu, j’ai une autre idée de test à faire pour préciser la nature explosive de la pierre mais… Je vais plutôt aller dehors pour ça. Je ne sais pas encore si la pierre a explosée ou si elle a augmenté la puissance de mon pouvoir à l’intérieur. Je vais aussi comparer la détonation à la poudre de Haru, pour que nous puissions avoir une idée de la puissance de la pierre, par rapport à la préparation.”

Je me sentais soudain… Intelligente. Alors c’était juste ça, la science ? Faire des essais et voir ce qu’il se passe. Rien de bien sorcier au final ! Non ?

L’enthousiasme du maître de cérémonie semblait être partagé par ses camarades scientifiques. En les observant, il distingua une certaine ferveur, une envie d’approfondir ces recherches, chacun à leur façon. C’était terriblement excitant pour l’archiviste, si bien qu’il envisageait déjà une récompense pour chacun. Il fallait les gratifier de leurs efforts et les accompagner dans cette épreuve qu’était « l’éveil ». Il n’aurait jamais envisagé cela auparavant, voilà qu’il devenait sentimental et généreux. La vie révèle bien des surprises à l’Humanité, loin d’être un fleuve au courant prévisible, elle emporte les Hommes sur un torrent d’imprévus et de péripéties plus ou moins agréable, et les change ainsi à jamais.

Son regard empli de curiosité flottait sur la salle, cherchant à déceler la moindre information utile et qui pourrait l’aider à comprendre le cristal. Le premier savant à s’exprimer et à attirer son attention, fut son ancien compagnon de mission Tengen. Son sang avait donc réduit le solide en liquide, puis le tout forma un ensemble indissociable, très intéressant finalement ce résultat. Ren avait eu tort de dénigrer le travail de son compère. Cependant, sans même prendre de recul, l’érudit prit la décision de s’injecter directement le mélange dans ses veines. C’était certes, très bien pensé sur un plan théorique, mais une telle entreprise demandait une certaine dextérité et expérience. L’inquiétude prit l’archiviste et ce dernier se pressa de se diriger vers son acolyte.

Toutefois, un événement vint le ralentir, si ce n’est le détourner de son intention première. Comme la souligné le précédent protagoniste, le comportement de Sadaharu était plus qu’étrange. Lui, si professionnel, si rigide et si prudent, errait, flânait, l’air guilleret. De plus, le voilà très familier et complice avec la jeune femme. Se connaissaient-ils ? Et pourquoi cette envie soudaine de « faire exploser quelque chose » ? Ces actes dictés par l’euphorie, voire l’hyperactivité, devaient être lié à la consommation de la pierre. C’était peut-être lui qu’il fallait suivre et contrôler… Néanmoins, la dénommée « Mir » prit les choses en main, reconnaissante et prudente, elle prit sous son aile l’alchimiste. Au vu de leurs échanges et leurs gestes, une certaine « amitié » les liait, c’était évident. Il valait donc mieux faire confiance à cette jeune Shosei.

- Gente demoiselle, je vous le confie, la pierre doit avoir un effet régressif ou bien désinhibant sur lui. Prenez garde à vous, au moindre souci, appelez-moi. Je mettrai tout en œuvre pour vous rendre la pareille.

Une fois cette confiance exprimée et appuyée par un salut de tête respectueux et plein de gratitude, l’homme tatoué retourna son attention sur son collègue quelque peu téméraire. C’est alors que le destin fit son apparition et lui apporta une autre diversion. Le chien bien étrange de l’autre inconnu avait refait son apparition, patientant tranquillement que l’on vienne le libérer de son fardeau. Devant cette donnée non prévue, Ren fut quelque peu désarçonné, trop de choses à faire et si peu de temps. Dans un flash de clairvoyance, il se décida à appeler à l’aide. Même si le seul être encore disponible était l’inconnu au tempérament plus que compliqué, Ren n’avait pas le luxe de faire le difficile. Il fallait faire appel à lui et le déranger dans ses occupations, ou plutôt son nettoyage.

- Excusez-moi ! J’ai besoin de vous ! Nous avons un collègue qui est sur le point d’entreprendre une expérience plus que dangereuse. Pourriez-vous surveiller cette expérimentation et l’assister, tandis que je m’occupe de cet animal ? Et si vous avez des compétences dans le domaine du soin, ce serait idéal, au cas où…

A peine avait-il eu le temps de prononcer ces mots que déjà, Tengen avait fini de préparer son injection. Cependant, étant à présent dos à lui, il ne put voir le moment exact de la pénétration de l’aiguille et du déferlement de son contenu dans les veines du mercenaire. Sachant l’urgence de la situation, il s’empressa de lire la lettre, de feuilleter le livre et de prendre le contenu du sac. Tout ceci était formidable, impressionné devant tant de savoir, il perdit sa voix, ses moyens. Mais cela ne dura que quelques secondes, puis il se ressaisit. Il n’avait pas le temps de s’émerveiller, de perdre du temps en épanchement émotionnel. Reprenant ses pensées en main, appliquant la raison et le pragmatisme qui le définissent si bien, il sortit sa plume et un parchemin, rédigea une missive courte et efficace à destination du grand savant, maître de ce canidé.

« Cher Shinonome Eirei,

Vos recherches et vos résultats m’impressionnent. Vos savoirs dépassent de loin mes attentes, mon appétit vorace pour les sciences en sera rassasié pour longtemps, merci. Je ne saurai comment vous remercier et vous aider. Même si vous clamer la solitude, l’isolement et m’offrait en quelques sortes votre testament, je ne peux vous laisser sans vous proposer mon aide. A nous deux, nous pourrions vous défaire du mal qui vous ronge, vous aider à apprécier la vie et ses secrets. Je ne vous forcerai pas la main et je respecterai votre volonté, cela étant dit, n’hésitez pas si vous avez besoin, Akemi Ren sera là, sur mon honneur, je le jure.

Cordialement,
Akemi Ren. »

Aussitôt la lettre signée, il la remit au coursier atypique. Il savait qu’il aurait dû prendre plus d’attention, offrir un présent, mais les bruits étranges derrière lui ne lui permettait pas de faire tout cela. Quand il se retourna, l’homme à la chevelure écarlate vivait un moment très douloureux. Cette vision d’horreur sonna comme un avertissement dans l’âme du chercheur. Ce joyau pouvait recéler bien des dangers, il avait bien fait de demander à des compères de pratiquer des tests aussi dangereux et éviter ainsi la lourde tâche d’être son propre cobaye. Néanmoins, il demeurait inquiet pour ces inconnus, il fallait tout faire pour leur limiter de graves séquelles. Quand le corps de son partenaire de mission se mit en transe, commença à se crisper, ou bien lorsque ses poils et cheveux prirent vie, la peur pouvait se lire dans le regard impuissant de l’Akemi. Que faire ? Comment le soulager ? Ses connaissances étaient trop maigres pour l’aider. Il éloigna tous les objets pouvant le blesser en un éclair, commença à essayer de protéger sa tête comme s’il s’agissait d’une banale crise de tremblement. Il ne savait pas quoi faire d’autres. C’est alors que la foudre jaillit du corps de Tengen. Était-ce aussi ça l’éveil, un traumatisme et une violente réaction ? Désemparé, il essayait de protéger au mieux le cobaye, c’était tout ce dont il était capable pour l’instant.

Notre hôte me laissait le champ libre pour mon expérience, et pour m’occuper de Haru. La forêt était assez vaste - il ne serait pas difficile de trouver un coin calme pour la suite des opérations. Je ne perdis pas de temps pour le conduire dehors, dans son état, j’avais peur qu’il fasse une bêtise - surtout qu’il avait déjà une poche entière de poudre noire dans les mains, de quoi nous mettre à terre tous les deux avec des vilaines séquelles.

Avant de quitter la pièce - Tengen étant encore en pleine préparation, je saluais une dernière fois Ren avant de disparaître, l’informant que je ne manquerais pas de lui transmettre les résultats de l’expérience - par l’intermédiaire de mon camarade actuellement inapte.

Tenant toujours ce dernier non loin de moi, je ne perdis pas de temps pour nous éloigner de l’Atelier où tous les autres étaient encore.

- “Bien, Haru… J’imagine que tu sais l’explosion que produit ta poudre en fonction de la dose. Je vais poser le cristal au loin et l’atteindre avec une explosion. Si ça explose plus fort que d’habitude, c’est que le cristal est explosif. S’il n’explose pas plus c’est que… Et bien, il avait amplifié mon pouvoir explosif tout à l’heure, et qu’il peut fonctionner avec n’importe quel don jusqu’à preuve du contraire. Je vais aussi déclencher ta poudre à distance. L’idée, c’est d’avoir deux fois la même explosion. Comme ça, on saura combien un petit morceau de la pierre produit par rapport à ta poudre.”

Je levais alors le second morceau pour l’examiner au soleil - le troisième étant toujours logé habillement dans un endroit où personne ne viendrait fouiller. Je comptais bien m’en servir plus tard - mais j’avais d’autres idées en tête.

- “Tu te sens capable de gérer ça où on se contente de faire exploser des choses le temps que tu redescende ?”

Un fin sourire illumina mes lèvres - je ne voulais pas lui forcer la main. La science pouvait attendre quelques heures.

Totalement soumis aux effets du joyau liquéfié sur son collègue Tengen, Ren était transi d’effroi et d’inquiétude. Quoi faire ? Comment aider son ancien partenaire de mission ? Totalement démuni, il ne put qu’attendre la fin de la crise, tout en essayant de limiter les dégâts physiques et matériels. Cette séance d’expérimentations allait lui coûter cher, mais c’était le coût du progrès et de la science, aucun regret à avoir. Immobile et attentif au moindre signe, l’érudit en oublia de donner un « présent » au chien et à son maître mystérieux. Tant pis, quand l’idée lui reviendra, il suivra les indications et livrera lui-même le bien tant convoité.

Les cris, ou plutôt les rires aliénés, et les tremblements commencèrent à disparaître. Lentement, le scientifique fou reprit ses esprits et le contrôle de son corps. Vraisemblablement usé et marqué par cette expérience, il avait du mal à garder sa stature debout. Pourtant, lorsqu’il reprit la parole, ce ne fut pas pour exprimer des sensations, ses symptômes ou de la douleur… Non, tout ce qui sortit de sa bouche fut une envie impérieuse, un désir de consommation abrupte. Mais que faire de la folie et de la douleur qui semblaient le foudroyer précédemment. Et ces éclairs, ses cheveux et poils hérissés, les avait-il oubliés ? Le savant tatoué, lui, avait ces images encore bien ancrées dans son esprit. Le choc était encore présent.

Néanmoins, en homme de science, il ne pouvait rester là, à rien faire. Il fallait recueillir le plus d’information possible. D’ailleurs, l’autre savant dans la pièce n’avait pas répondu à son appel. Il semblait lui aussi autre part, prit dans ses pensées, l’interrompre ne serait pas convenable. Si l’hypothèse qui germait dans la tête du Kodama se vérifiait, l’inconnu aux cheveux gris, faisait sûrement l’expérience de l’éveil, lui aussi. Ce moment, très intense et très personnel, ne devait pas être perturbé. Alors, il se plaça entre ses deux compères afin de cacher le dernier, du regard du premier. Là, placé en maître de cérémonie, il se racla la gorge et prit la parole.

- Ecoute, Tengen. Là, n’est pas la question. Que veux-tu en faire ? Et que vient-il de se passer ? J’attends de toi de la rigueur et des explications. Si cela représente un danger pour toi ou les autres, je ne pourrais pas satisfaire ton appétit. Comprends-moi, ce bien est précieux et ses limites inconnues. On ne peut pas se permettre de jouer avec la vie, ainsi. De plus, si tu ne maîtrises pas tes éclairs, que va-t-il se passer si ton corps en relâche une plus grosse quantité ? Tu mettrais en péril tout ton entourage !

Le ton sévère et péremptoire, l’homme à la cape se montrait extrêmement autoritaire. La peur de perdre un confrère avait sonné en lui comme un traumatisme. Il était hors de question d’entraîner un camarade sur ce qui semblait être une addiction ou une dépendance. Il n’était pas un dealer, ni un être cruel, dénué de tout principe. La sécurité et la santé de ses cobayes humains primaient sur la science. Ce raisonnement était davantage soutenu par peur de sanctions hiérarchiques, plutôt que par un éventuel élan humaniste.

Soudain, lassé par son propre paternalisme et son excès de zèle, l’aîné des lieux, se mit en marche en direction de son bureau initial. Là, il prit le dernier éclat qui trônait ici depuis le début de la journée. Tout en fixant Tengen du regard, comme pour lui intimer de garder ses distances, il divisa cet amas de 0,5 grammes de sang cristallisé en cinq morceaux équitables de 0,1 grammes chacun. Après un soupir, il les rangea dans sa poche. Vouloir préserver ses partenaires, les restreindre autant en termes de quantité qu’en terme d’information, leur ordonner d’agir selon un biais spécifique, tout ceci était épuisant. L’Akemi ne voulait plus assurer un tel rôle, après tout, il avait à faire à des hommes et des femmes de raisons, il n’avait aucune légitimité à les traiter comme des enfants. Lentement, toujours en surveillant le blondinet, Ren arriva près du gars à la chevelure d’argent. Discrètement, il ramassa les poussières que ce dernier avait précédemment rassemblées.

- Tenez, prenez cet éclat, il est le gage de notre bonne entente. J’ai saisi l’ampleur des sensations qui vous habitent. Prenez votre temps, partez s’il le faut. Mais surtout, prenez soin de vous ! On se recontactera plus tard, pour le bilan des expériences.

Après ces paroles pleines de sympathie, il retourna devant l’unique autre Kodama présent dans ces lieux. Il lui tendit la main avec un petit éclat en son centre.

- Tengen, voici le seul morceau qui te revient. Tu peux en faire ce que tu veux, mais retiens bien que tu n’en auras peut-être jamais plus d’autres… Du moins, tant que nous n’aurons pas trouvé le moyen d’en récolter en grande quantité. Surtout fais bien attention, les effets de cette substance varient énormément en fonction de la méthode de consommation et des individus. Ne te perds pas en chemin surtout…

Un dernier regard, lancé en arrière, révéla au savant que son collège sans nom avait déjà disparu. Il avait su saisir l’opportunité que lui avait tendu l’investigateur de cette recherche collective. S’il était sérieux et de bonne foi, les résultats de ses études ne tarderont pas à arriver au trentenaire. Puis, il revint à son allié de toujours. Il savait le danger et les risques qu’il prenait à alimenter l’appétit de ce dernier, cependant par équité, il ne pouvait pas le leurrer et l’empêcher d’obtenir dédommagement pour ce temps passé dans l’atelier.

- Surtout, je compte sur toi pour me transmettre toutes les informations que tu collecteras, je te fais confiance. Pour ton bien, il est important qu’un tiers puisse être là en cas de besoin. Et si tu en ressens l’envie, je serai là pour toi Tengen.